mettez-vous plutôt à l’écart
fuyez dans la solitude
ayez votre masque et votre finesse
pour que l’on ne vous
reconnaisse pas
ou pour que du moins
on vous craigne
un peu
et n’oubliez pas
le jardin
le jardin
aux grilles dorées
ayez autour de vous des hommes qui soient semblables à un jardin ou qui soient comme de la musique sur l’eau lorsque vient le soir alors que le jour n’est déjà plus qu’un souvenir
choisissez la bonne solitude la solitude libre légère et impétueuse celle qui vous donne le droit à vous-même de rester bons dans quelque sens que ce soit
combien
toute longue guerre qui ne peut pas être menée ouvertement rend
perfide rusé et mauvais
combien
toute longue crainte rend personnel et aussi toute longue attention accordée à l’ennemi
à l’ennemi possible
tous ces parias de la société longtemps pourchassés et durement persécutés tous ces ermites par nécessité qu’ils s’appellent Spinoza ou Giordano Bruno finissent tous par devenir ne fût-ce que dans une mascarade intellectuelle et peut-être à leur insu des empoisonneurs raffinés et avides de vengeance
qu’on aille donc une fois au fond de l’éthique et de la théologie de Spinoza
pour ne point parler du tout de la sottise dans l’indignation morale qui est chez un philosophe le signe infaillible que l’humour philosophique l’a quitté
le martyre du philosophe son sacrifice pour la vérité fait venir au jour ce qu’il tient de l’agitateur du comédien caché au fond de lui-même
et en admettant que l’on ne l’ait considéré jusqu’à présent qu’avec une curiosité artistique pour plus d’un philosophe on comprendra il est vrai le désir dangereux de le voir une fois de le contempler une fois sous un aspect dégénéré
je veux dire dégénéré jusqu’au martyr jusqu’au braillard de la scène et de la tribune
en face d’un pareil désir il faut cependant bien se rendre compte du spectacle qui nous est offert
c’est
une satire seulement
une farce présentée en épilogue
la démonstration continuelle
que la longue tragédie véritable est terminée
en admettant que toute philosophie fût à son origine
une longue tragédie