Picasso
Le Printemps
20 mars 1956
quand
le printemps vient
même le faux printemps
il ne se pose qu’
un seul problème
celui d’être
aussi heureux que possible
rien ne peut gâter une journée sauf les gens et si vous pouvez vous arranger pour ne pas avoir de rendez-vous la journée n’a pas de frontières
c’est toujours les gens qui mettent des bornes au bonheur sauf ceux très rares qui sont aussi bienfaisants que le printemps lui-même
revoir
le printemps est pour moi ressusciter
en paradis
salut
c’est le printemps
c’est l’ange de tendresse
il descend des lointaines hauteurs
le jour nouveau
le matin
qui s’est éveillé des crépuscules
il rit à l’humanité
paré
enjoué
de dix mille joies
l’humanité est doucement pénétrée
une vie nouvelle
veut se dévoiler à l’avenir
de fleurs
il semble
en signe de jours joyeux
que s’emplisse la grande vallée
la terre
tandis qu’elle est partie très loin
au printemps
la plainte
le soleil brille
fleurissent les champs
les jours s’en viennent chargés
de fleurs
et doux
le soir fleurit lui aussi
et de claires journées vont
du ciel déclinant
de là où naissent
les jours
l’année
se présente avec ses saisons
comme
un faste
des fêtes s’y déploient
l’activité des hommes s’engage
vers de nouvelles fins
tels sont les signes dans le monde
en merveille multiples
les livres savants ont beau vouloir m’apprendre sa définition astronomique météorologique ou même calendaire m’enseigner qu’il se situe précisément entre l’équinoxe portant son nom et le solstice d’été le printemps est là quand je le sens quand je le vois quand de la fatigue et de la routine enkystées des jours mornes quelque chose soudain se réveille se déverrouille se libère
c’est
un déclic
d’air et de lumière
un pétillement
discret aussitôt dilué en ondes de joie
c’est
un vent frais mêlé à
un soleil encore timide
une respiration qui s’élargit
un frisson qui désengourdit le corps
tout étonné et ravi de se retrouver corps de printemps
déjà ivre de renouveau d’espoir surtout impérieux et impalpable
même en ville la nature se ranime dans le vert frais l’explosion subite de bourgeons blancs et roses dans les jardins et les squares
il
n’y avait rien de rien et hop tout
d’
un coup
la splendeur
est là
pure présence
physique et métaphysique
sève vernale
boutons floraux
émerveillement toujours recommencé
charmant
entêtement
d’
une folle persévérance
de l’ancien français prins prime et temps primus tempus signifiant en latin la bonne saison le printemps dit tout en s’énonçant primavera chez les Espagnols et les Italiens temps nouveau natif originaire originel
éternelle jeunesse du monde et des peuples
printemps
d’
une journée
d’
un âge
d’
une existence
si toutes les saisons peuvent rappeler à chacun les souvenirs des précédentes gageons que les émotions spéciales dispensées par le printemps sont uniques
et que plus nous vieillissons plus nous ressentons chaque printemps nous éloignant de celui de notre vie avec émotion et ferveur dans le regain d’un désir que nous souhaitons éternel
le plus
timide bourgeon
est la preuve qu’il n’y a pas
de mort réelle
disait
William Blake