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L’écriture
n’est pas,
selon la pensée juive,
une fonction humaine :
elle fonde l’humanité.
La littérature n’est pas
une activité,
un art,
une profession
ni un loisir,
mais elle engage
le réel
en une vaste trame romanesque
à décrypter indéfiniment,
qui se nomme
la Bible.
À rebours
de la formule de Lacan :
« à l’être succède la lettre »,
voici
l’enseignement majeur
du judaïsme :
c’est la lettre qui précède l’être ;
Dieu,
avant que de rugir,
d’illuminer ou de sculpter,
bien avant de châtier,
d’élire,
de jalouser
ou de disperser,
Dieu avant même de créer
écrivit.
La tâche primordiale de l’élu
sera dès lors de lire,
d’étudier,
de gloser,
de transmettre,
d’écrire aussi bien sûr,
maniant telle une étoffe
– à coups de
césures et de sutures –
la matière intense,
délicate,
pulsatile,
chatoyante et
jouissive des versets,
floculations compactes de dire
engendrant la pensée
aussitôt entrelacés.
Les Docteurs du Talmud
ont ainsi édifié une prodigieuse
rhapsodie de lections,
lectures disloquées et couturées de l’Écriture,
tout entière réenchevêtrée
en un patchwork mobile,
éternellement autre.
Le texte à peine surgi,
se joue donc la question de son altération
puisque c’est toujours d’une
lettre l’autre que se trame l’écrit.
S’engage alors
le processus infini de l’impureté,
du mélange,
de la souillure et du péché,
en un mot de l’immonde.
La faute originelle,
fiction vraie du Texte qui l’invente,
déclenche – outre
le mal,
l’imprécation et le châtiment – le désir,
la beauté,
le discernement,
la rédemption,
et la pudeur,
car dès qu’il se sait nu
l’homme se veut vêtir,
revenant de la sorte à la pure texture
d’un tracé qui le contamine.
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