Proust est merveilleux
je souscris
mais quelle est cette
merveille
?
c'est
l'expérience intérieure
dans le texte d’À L’Ombre des jeunes filles en fleurs le narrateur est dans une calèche avec sa grand-mère et Madame de Villeparisis aux environs de Balbec
il aperçoit trois arbres
qui peu à peu s’approchent
ressent
une impression
de déjà vu
multiplie les hypothèses
aucune n’est
la bonne
les arbres
s’approchent au plus près
puis s’en vont
ou plutôt
c’est
le narrateur qui s’en va
emporté par ladite
calèche
et par la vie
avant même
l’évocation des trois arbres
on lit ceci en guise
d’avertissement
nous descendîmes sur Hudimesnil
tout d’un coup
je fus rempli de ce bonheur profond...
un bonheur
analogue à celui que m’avaient donné
entre autres
les clochers de Martinville
mais cette fois il resta incomplet
lorsque la calèche s’éloigne
le narrateur a la sensation poignante de les abandonner
comme des morts laissés
sans sépulture
et de fait ces trois arbres vont rester plantés au beau milieu de La Recherche sans avenir sans résolution ils ne réapparaîtront pas parmi les épiphanies du Temps Retrouvé resteront hors de toute téléologie ou synthèse réconciliatrice
c’est
une reconnaissance
définitivement manquée
une occasion
qui n’aura pas été saisie
Proust le dit d’emblée
et le souligne :
en effet si dans la suite je retrouvai le genre de plaisir et d’inquiétude que je venais de sentir encore une fois, et si un soir — trop tard, mais pour toujours — je m’attachai à lui, de ces arbres eux-mêmes en revanche, je ne sus jamais ce qu’ils avaient voulu m’apporter ni où je les avais vus
de
ce texte
on peut dire qu’il
est
une aporie
en réveillant
l’étymologie du mot aporia
qui signifie littéralement
sans chemin
sans issue
et
autre chose
encore
si
cette expérience
fait appel à la mémoire
le narrateur multiplie les hypothèses
où les a-t-il déjà vus
?
elle est
celle du choc
d’
une mémoire
qui ne se soumet pas au passé
pas de souvenir
rien à voir avec les retrouvailles
de la mémoire
involontaire
***
chacun connaît
le sentiment d’avoir oublié
quelque chose dans sa vie consciente
quelque chose
qui est resté en route
et qui n’a pas été tiré au clair ...
lorsqu’on quitte
une chambre
qu’on a longtemps habitée
on jette
un regard bizarre
autour de soi avant de partir
là aussi
quelque chose est resté
dont on n’a pas eu
idée
on l’emporte néanmoins avec soi
pour recommencer
ailleurs