Lorsque le corps est sain et épanoui, l'empire des pensées s'étend amplement, vers le lointain. Je peux, de là où je me trouve, imaginer ce qui se trouve loin de moi : la ville, le soleil, la foule, les vieux objets des musées, les sentir proches de moi et les chérir, comme si ces choses brillaient d'un perpétuel éclat. J'ai alors l'illusion que le présent est éternel. Mais lorsque le corps est atteint, malade, que l'esprit est accablé, l'empire des pensées se rétracte dans une sphère défensive. Le lointain de la ville, du soleil, de la foule, des vieux objets des musées se fait de plus en plus opaque, les choses deviennent des altérités nues, le monde s'éloigne. Lorsque l'empire du monde extérieur commence à se refermer sur mon corps, il devient pénible de rêver, et encore plus dur de se remémorer. En définitive, il ne reste sans doute plus qu'à tout abandonner au néant, ce néant étranger à moi-même et qui envahit mes pensées. Mais que se passe-t-il donc pour celui qui, à la fois sain et malade, ne veut pas plus conquérir le monde extérieur qu'être absorbé par lui? Personnellement, je cherche un moyen de m'immiscer entre les pensées et le monde extérieur, et crée pour cela des oeuvres qui sont des sortes de zones neutres et bien aérées, mais dont je serais bien incapable de préciser de quelle sorte de république il s'agit.
Lee Ufan
( Pratiques, réflexion sur l'art, 1999 Presses Universitaires de Rennes)
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