.
La Poétique
de l'œuvre ouverte
Umberto Eco
L'œuvre ouverte 1962
L'œuvre d'art est un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant.
Toute œuvre d'art alors même qu'elle est une forme achevée et close dans sa perfection d'organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu'elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d'une œuvre d'art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale.
La recherche du mouvement et du trompe-l'œil exclut la vision privilégiée, univoque, frontale, et incite le spectateur à se déplacer continuellement pour voir l'œuvre sous des aspects toujours différents, comme un objet en perpétuelle transformation.
Eco cite l'Art poétique de Verlaine
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air
Sans rien en lui qui pèse et qui pose.
Mallarmé écrit
Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème, qui est faite du bonheur de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve.
l'œuvre est ouverte au sens où l'est un débat : on attend, on souhaite une solution, mais elle doit naître d'une prise de conscience du public. L'ouverture devient instrument de pédagogie révolutionnaire.
Elle rend possible une multiplicité d'interventions personnelles, mais non pas de façon amorphe et vers n'importe quelle intervention. Elle est une invitation, non pas nécessitante ni univoque mais orientée, à une insertion relativement libre dans un monde qui reste celui voulu par l'auteur.
l'auteur offre à l'interprète une œuvre à achever.
L'œuvre d'art est une forme, c'est-à-dire un mouvement arrivé à sa conclusion : en quelque sorte un infini contenu dans le fini. Sa totalité résulte de sa conclusion et doit donc être considérée non comme la fermeture d'une réalité statique et immobile, mais comme l'ouverture d'un infini qui s'est rassemblé dans une forme.
Une certaine manière
inhabituelle d'utiliser le langage
abouti au poème
L'esthétique
doit s'intéresser davantage
aux manières de dire qu'à ce qui est dit
.