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Mais quel sens y a-t-il à mettre dans ta bibliothèque un livre que tu ne lis pas? Comme tu dis: je ne le lirai peut-être jamais, et qui sait si je n’en ferai pas un jour cadeau à quelqu’un. Mais non, je plaisante, je me laisse entraîner; les livres achetés et non lus, et qui ne le seront peut-être jamais, je ne les prête même pas. Ils me “servent”. A quoi? Ils servent parce que comme tous les livres ils exercent naturellement une action magique, action d’ombre et de blason. Quand on achète un livre, on est, je suppose, un peu dans le même état d’esprit que les hommes qui peignaient des bœufs et des boucs dans les cavernes paléolithiques. Une vache peinte, on ne peut ni la traire ni la manger, mais elle a, sur toutes les autres vaches, le privilège d’être “la vache”. De même le livre non lu, acheté et déposé sur un rayon de bibliothèque, est “le livre”.
Discours
de l’ombre et du blason
Giorgio Manganelli
Seuil
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