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Marianne Moore
Selon Marianne Moore, la poésie se doit de créer « une place pour l’authentique », qui ne peut se trouver que dans le monde et non dans l’individu. Raison pour laquelle, le public, habitué à une poésie plus directement accessible parce que personnelle et intimiste, a pu être durablement dérouté par cette écriture toute en technique, en intellectualisme et en esprit, dont le « fini » fascinait ses pairs. Moore entend pousser le lecteur à accepter la relation entre grand et petit, entre animé et inanimé, entre idéal et objet. Dans la lignée de Pound et Eliot, elle fait de l’art avec de l’art, que ce soit à partir d’objets rares et précieux, de gravures ou de miniatures, d’animaux étranges ou fabuleux.
Elle a recours à des rapprochements en apparence incongrus et qui pourtant, par le subterfuge de son écriture, s’imposent comme une évidence. Ainsi, dans « No Better than a “Withered Daffodil” » , le poème part d’une citation de Ben Jonson pour se construire ensuite autour d’une miniature de Philip Sidney, tandis qu’ailleurs le pangolin est apparenté à l’artichaut et à l’ouvrage de ferronnerie de l’Abbaye de Westminster. Cette concaténation d’images procède d’une poésie éminemment visuelle qui cherche à aller au-delà de l’objet, en conciliant goût du détail, expérimentation linguistique, observation in vivo et lectures éclectiques. Mais ses digressions autour de citations et de photographies – qui expriment le point de vue de leurs auteurs – doublées d’une portée moraliste exercée avec distanciation et sans dogmatisme aucun, ont laissé la critique perplexe : Marianne Moore est-elle moderne ou anachronique, imagiste ou objectiviste ? Aussi a-t-on parfois reproché à sa poésie une certaine sècheresse « mathématique ».
S’il est vrai que le poème moorien s’inscrit dans un espace structuré, symétrique – mais une symétrie pentamère comme les échinodermes, ou spiralée comme le scalaire – le langage y est soumis à une danse subtile et effrénée, qui libère le pouvoir des mots. Son écriture se caractérise en effet par sa musicalité singulière puisque c’est « la syllabe [qui] donne ici la mesure (comme dans la poésie française) et non le pied » . L’introduction d’un humour vivace et éclairé contribue à l’équilibre précaire du poème moorien qui menace à tout moment de s’effondrer et qui, au contraire, affiche une miraculeuse solidité, à la manière de l’improbable pont suspendu de Brooklyn…
Étudiante, Marianne Moore présentait la création poétique comme l’art de créer des « hiboux imaginaires dans des forêts imaginaires ». Quelques années plus tard, et l’évolution est significative et instructive, elle concevra la poésie comme un « jardin imaginaire avec de vrais crapauds dedans ».
Thierry Gillybœuf
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