le mystère n'est pas
un mur
où l'intelligence se brise
c'est
un océan
où l'intelligence se perd
*
Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
le mystère n'est pas
un mur
où l'intelligence se brise
c'est
un océan
où l'intelligence se perd
*
l’amor fati est souvent assimilé au fatalisme mais c'est un contresens
l’amor fati doit plutôt être considéré comme un amour du devenir et du chaos que constitue parfois la réalité.
cet amour n’est pas une résignation passive face à ce qui arrive ce n’est pas une obéissance servile aux évènements
certes l’amor fati a pour conséquence d'accepter son destin d'accepter cette fatalité qui nous dépasse et dont nous faisons partie nous aussi nous qui sommes
un pan de fatalité
mais le fait que Nietzsche souligne de façon assez stoïcienne cette prééminence du destin et de la fatalité n’est pas un argument suffisant pour réduire l’interprétation de l’amor fati à un simple fatalisme
en quoi
l’amor fati dépasse-t-il le fatalisme
?
premièrement l’interprétation du réel comme amor fati permet précisément aux yeux de Nietzsche de libérer l’homme d’une certaine fatalité celle de la morale et de sa condamnation
au contraire de la morale platonico-chrétienne qui en insistant sur le rôle d’une libre volonté et de la centralité du choix vise sournoisement selon Nietzsche à culpabiliser l’homme pour le rendre obéissant l’amor fati s’inscrit dans une tentative de déculpabilisation de l’homme :
nul
n’est responsable
d’exister de manière générale
d’être
comme ceci ou cela
Nietzsche tente ici de renouer avec la vision grecque du tragique telle qu’il la perçoit chez Eschyle et Sophocle ainsi que chez les philosophes présocratiques
une vision où les notions de faute et de péché n’existaient pas
deuxièmement une compréhension commune du fatalisme le rapproche d’un sentiment de dépassement face au réel qui de toute façon suit ses propres règles sans nous demander notre avis
l’homme gagné par la fatalité du monde serait celui qui se demande sans cesse À quoi bon ? puisqu’il semble que le monde vive aussi bien sans lui et qu’il ne puisse pas le modifier concrètement
or ce fatalisme-là est explicitement condamné par Nietzsche qui le désigne sous le concept de nihilisme
le À quoi bon ? est pour Nietzsche un symptôme de décadence une parole d’homme malade dont la volonté de puissance est déclinante
au contraire l’amor fati est l’interprétation de l’homme affirmateur suffisamment affirmateur pour englober le réel tout entier avec toute la part d’horreur et de chaos qu’il comprend voire pour le dépasser
ce dépassement est un point souvent oublié de l’amor fati : contrairement à ce que l’on pense souvent l’interprétation de l’amor fati est parfaitement compatible avec l’idée de changer le monde
tout dépend de ce que l’on entend par changement
aimer le réel pleinement, selon Nietzsche c’est certes renoncer à le placer sous le joug d’un quelconque arrière-monde religion moral philosophie idéaliste qui n’existe que comme vecteur de valeurs négatrices haineuses face à la réalité cette réalité unique qui est la nôtre
mais changer le monde ne signifie pas forcément chercher à le soumettre à un arrière-monde ce peut être-aussi chercher à l’affirmer toujours plus chercher à créer des valeurs toujours plus affirmatrices
affirmer le monde ne revient donc pas à le conserver simplement tel qu’il est ou pire à chercher à ce que rien ne change jamais en lui
être un homme affirmateur un de ceux qui embellissent les choses ce n'est pas s’extasier devant un réel fatalement immuable ou chercher à tout prix à trouver de bons côtés à un monde atroce sans jamais le changer concrètement.
au contraire de nouvelles valeurs signifient chez Nietzsche de nouvelles configurations des rapports pulsionnels modelant la réalité donc une nouvelle réalité
si l’on suit l’hypothèse de la volonté de puissance selon laquelle le réel n’est qu’un tissu interprétatif de pulsions on comprend qu’aimer le réel c’est précisément l’aimer au point de chercher à réaliser la configuration pulsionnelle la plus affirmatrice possible
l’amor fati est la conviction profondément ancrée en soi que le devenir et le chaos sont bénéfiques parce qu’ils nous permettent d’exprimer notre puissance afin de nous épanouir
ce concept s'illustre par cette citation de Nietzsche
Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort
Crépuscule des idoles 1888
en effet tout événement qui survient même le plus atroce est l’occasion de se dépasser de devenir plus fort et donc de se sentir plus vivant et plus affirmatif
c’est pourquoi la souffrance en elle-même n’est pas rejetée par Nietzsche
elle fait partie de la réalité et elle est à la fois inéluctable et nécessaire
il est donc vain et inutile de chercher à la supprimer mieux vaut chercher à la maîtriser car cette maîtrise aboutit à la création étape nécessaire dans l'accomplissement de l'être menant à la figure du surhomme.
ainsi l’amor fati permet de comprendre que toute la réalité est bonne
par conséquent alors que tout le malheur de l’homme est de se sentir étranger sur cette terre l’amor fati lui permet de se réconcilier avec la réalité
il permet d’affirmer
un idéal
celui de l’homme le plus généreux le plus vivant et le plus affirmateur, qui ne se contente pas d’admettre et d’apprendre à supporter la réalité telle qu’elle fut et telle qu’elle est mais qui veut la revoir telle qu’elle fut et telle qu’elle est pour toute l’éternité qui crie insatiablement da capo en s’adressant non pas à lui mais à la pièce et au spectacle tout entier et non pas seulement à un spectacle mais au fond à celui qui a besoin de ce spectacle et le rend nécessaire parce qu’il ne cesse d’avoir besoin de soi et de se rendre nécessaire
Par-delà bien et mal 1886