je jure
en pleurant
que ce n’est pas mon écriture
une fois le texte livré à la compréhension de ses lecteurs
l’auteur ne peut plus le reconnaître
quand bien même
il n’a fait qu’œuvre de copiste
et le sentiment
de dépossession demeure car le livre
aura tout dévoré
il en est tout autant du lecteur
qui ne se trouve jamais là
où on l’attend
le lecteur
ce n’était jamais toi ni un autre
la sagesse de la langue est antérieure à
la sagesse des sciences
le fil noir
de l’écriture passe par le chas d’
une aiguille
à recoudre les bruits de déchirure
que les récits intérieurs à la fois couvrent et provoquent
en tournant les pages
il y a
des livres où les métaphores
qu’il collectionnent sont comparables à des papillons
malgré l’aiguille qui leur traverse le corps les holométaboles continuent de battre des ailes dans la boîte en papier vitrée jusqu’à ce qu’à l’issue d’une imprévisible et cinquième métamorphose leurs ombres blanches flottent en lévitation dans le vitré
mais à quel mélange de parfums d’acacias et de lilas en fleur en relis-tu alors les pages devenues de voletants imagos dans les yeux quand tu réalises qu’il s’agit de jeunes fiancés comme dans les tableaux de Chagall
tu n’auras dès lors plus qu’à battre des paupières en dévalant avec Babel l’escalier d’Odessa dont chacune des marches conserve l’empreinte d’un récit-poème d’anticipation pour que ces bienheureux ludions s’interposent entre toi et le monde
et pourquoi
dans des minutes de joyeuse insouciance,
sentons-nous la tristesse
s’insinuer en nous
?
le rire
se fige sur nos lèvres
notre visage s’assombrit
et nous voici aussitôt
différents
de nos compagnons...