Je lis
chaque
mot écrit que je découvre sur
mon passage.
Réservé aux pompiers.
Alarme connectée avec vidéosurveillance.
Achète votre voiture, paiement comptant.
Il y a de la beauté, une perfection sans effort dans la tombée graduelle de la nuit.
Le mot LIBRE brille en vert clair sur le pare-brise d’un taxi, suspendu dans la rue obscure, comme découpé et collé sur un fond noir, le bristol d’un album.
Un autobus éclairé et sans passagers débouche à toute vitesse d’un tunnel, galion fantôme en haute mer.
Un de ses flancs est entièrement recouvert d’une publicité panoramique
Profite maintenant des saveurs de l’été.
Les mots de la rue acquièrent une séquence rythmique.
Achète or.
Achète argent.
Achète or et argent.
Don du sang.
Achète or.
Don du sang.
Aux arrêts d’autobus brillent des panneaux lumineux avec les derniers films à l’affiche.
Les Dieux d’Égypte.
La bataille pour l’éternité commence.
Les Tortues Ninjas :
les Héros sont de retour.
Invitations, ordres et interdictions successifs auxquels je n’avais jusqu’alors pas prêté attention en passant dans cette rue.
Interdit de laisser des récipients hors des containers.
Interdit d’entrer.
Viens savourer nos cocktails.
Célèbre avec nous tes grandes occasions.
Avant que j’arrive à la terrasse d’un bar, les voix des buveurs, le son des verres et des couverts sur les assiettes de tapas montent comme un murmure choral.
Je traverse sans m’arrêter l’épaisseur de voix et d’odeurs.
Viande grillée, graisse animale, fumée de friture et de tabac, carapaces de gambas.
Spécialités de viande à la braise et côtelettes d’agneau.
Goûtez notre riz au homard.
Il y a un étalage de succulence verbale, une splendeur de nature morte hollandaise dans la typographie des pancartes.
Croquettes.
CÔTE DE BŒUF.
Gambas à l’ail.
Tripes à la madrilène.
FROMAGES.
Aubergines au salmorejo.
LOUP À LA BILBAÏNA.
EMPANADA DE BONITE.
PAELLA. ENTRECÔTE.
Le soir de juin amène sur les trottoirs de Madrid une ample placidité de ville balnéaire où les familles vont passer l’été.
Je me promène en me laissant porter et me rends compte que cette soirée est la dernière que je vis dans ce quartier où je suis resté de si nombreuses années.
Un homme et une femme aux cheveux blancs et d’aspect juvénile sourient, leurs visages rapprochés, dans la vitrine d’un magasin d’aides auditives.
Sur les publicités, les personnes âgées ont un sourire non dénué d’optimisme et les jeunes rient aux éclats, la bouche grande ouverte, montrant leur langue et leurs gencives.
Je n’avais pas fait attention à cette affiche ni à son invitation ou à son injonction, à ses caractères blancs sur le fond bleu d’un bonheur de retraités avec des sonotones invisibles : Sois tout ouïe.
Écoute les véritables sons de la vie
Un promeneur solitaire dans la foule
Antonio Munoz Molina
traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Les éditions du Seuil
2020.