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Dame Su Hui
Une apogée de l’art du poème carré est atteinte en Chine, où les idéogrammes monosyllabiques, à la fois son et mot, et dont chacun s’inscrit toujours virtuellement dans un petit carré invisible, sont assez facilement disposables comme des pions amovibles sur une grille, du fait de la flexibilité de la syntaxe chinoise. Notons que les célèbres sceaux rouges chinois formatent aussi leur nom propre translittéré et calligraphié dans un carré.
Prédisposés par ces affinités entre leur écriture et la forme étudiée ici, les Chinois ont composé divers poèmes carrés, ou des strophes carrées, comme les quatrains anonymes quadrisyllabes de 4 vers de 4 caractères du « Shi Jing » (ou « Che-King »), le « Livre des Odes » de la période archaïque (XIè-VIè siècles avant JC).
Par la suite, quand les auteurs affinent leur écriture, la taille du carré grandit et une partie de cette production devient palindromique ou lisible de plusieurs façons comme le Sator. On y trouve en plus des modes de lecture en diagonales, sous-carrés internes, combinaisons diverses. Le chef d’œuvre en est le poème carré fourmillant de sens brodé dans des couleurs symboliques par la Dame Su Hui au 4è siècle de notre ère. Su Hui l’a écrit pour son mari qui l’avait abandonnée, et, d’après la légende, celui-ci lui est revenu, ébloui par le poème. Descriptions de paysages, maximes, nostalgie, dissection du sentiment, métaphores taoïstes et cosmologiques s’entrelacent en un macro-carré quadrillé de poèmes carrés plus petits, et dont le centre est le caractère xin (cœur), entouré d’un réseau de vers combinatoires. Une diagonale nord-est à partir du centre se lit : « Cœur (étoile polaire, esprit) : ma carte stellaire rêve de toi… » La poète et sinologue Michèle Métail a reconstitué ce carré disparu dans un très beau livre aux éditions du Théâtre Typographique (1998) : La Carte de la sphère armillaire de Su Hui.
Le poème carré
formes et langages de
Jean René Lassalle
ici
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