Nadja
parce qu'en russe
c'est le commencement du mot espérance
Un des plus beaux récits de la littérature française Nadja est écrit à partir d'une histoire vraie :
celle de l’amour entre André Breton et Nadja
Longtemps on a cru que Nadja était une actrice Blanche Derval voire un être de fiction
Mais des découvertes et des ventes récentes de manuscrits de lettres et de carnets de Breton ont permis de redécouvrir la femme derrière le récit
S'ouvrir à la rencontre
Sont réapparus sur le marché des témoignages qu’on pensait perdus de l’existence de Nadja
Et c’est assez troublant de la voir réapparaître aussi longtemps après
Nadja était danseuse courtisane vivait de petits contrats
Elle était dans un état de pauvreté à ce moment-là
Et Breton va la soutenir en particulier il va vendre un tableau de Derain pour lui permettre d’éponger ses dettes et de trouver un hôtel où elle puisse vivre
En 1926 quand il rencontre Nadja André Breton a 30 ans et il aime errer dans Paris
Ouvert au hasard de la rencontre il accoste une femme mystérieuse
C’est une errance qui provoque la rencontre amoureuse dans le sens où il se place lui-même volontairement dans un état de disponibilité
Nadja probablement était dans un état similaire
Probablement pas pour les mêmes raisons
c’est qu’elle se trouve elle-même déjà un peu vacillante
aux limites du délire
Et c’est le côté fascinant de cette rencontre
Nadja
devient plus surréaliste que
Breton
Elle est productrice d’images très fortes qui bouleversent Breton qui lui-même les encourage et peut être encourage aussi l’aggravation d’un délire derrière
Disons que c’est la rencontre entre deux causalités qui rend cette histoire très magnétique
De son vrai nom
Léona Delcourt
elle
se fait appeler Nadja parce qu'en russe
c'est
le commencement du mot espérance
et le commencement
seulement
Vivre l'amour fou
En bon surréaliste Breton place l’amour comme valeur cardinale
L’amour fou est au centre de l’éthique surréaliste dans le sens où le surréalisme ce n’est pas qu’un mouvement littéraire, c’est une philosophie de vie
une morale de l’existence
André et Nadja passent ensemble une semaine d’errance de fascination de passion.
Mais bientôt déçue par cet amour non réciproque en février Nadja quitte Breton et lui prédit qu’il écrira leur histoire.
C’est le côté prophétique de Nadja prophétique toujours un peu aux limites du délire aussi puisque le délirant voit des associations qui n’existent pas
Tu écriras un roman sur moi. ...
Tout s’affaiblit
tout disparaît
De nous il faut que quelque chose reste...
Nadja à Breton dans Nadja
Au mois de mars 1927 Nadja sombre dans la folie elle a un épisode délirant dans son hôtel et elle est enfermée
C’est la tragédie de cette femme : elle ne sortira jamais de cet enfermement et comme beaucoup de personnes hospitalisées dans des institutions psychiatriques elle va mourir au cours de la Deuxième Guerre mondiale, probablement de faim
Donc Breton au moment d’écrire Nadja est face à cette catastrophe d’une aventure qui le remet profondément en cause
Écrire l'intensité
Quelques mois après son internement pour exorciser ce traumatisme
Breton s’isole dans un manoir normand pour écrire en 10 jours le récit de cette rencontre
C’est ce qui explique aussi l’intensité de l’écriture telle qu’on le voit sur le manuscrit.
C’est-à-dire qu’il y a une vérité par rapport à soi-même qu’on voit dans la rigueur extrême de l’écriture
Donc c’est à la fois une écriture intense et en même temps raturée cahoteuse difficile pour Breton facile et empêchée en même temps…
c’est ce paradoxe qui est bouleversant avec ce manuscrit
Moins de deux ans après sa rencontre avec Nadja Breton en publie le récit
C’est le soulagement pour Breton qui le fait lire en descendant du train
Ses amis sont rassemblés à la gare et il commence la lecture de Nadja
Pour Breton c’est un récit tellement intime et tellement bouleversant que ça devait avoir une importance plus singulière
Et rentré à Paris Breton se met à rassembler tout l’aspect iconographique du récit
Puisque c’est une des caractéristiques majeures de Nadja c’est non seulement cette rencontre amoureuse mais l’usage très novateur fait par Breton de l’image qui vient ponctuer le récit pour éviter la description
Et Breton évidemment a mis un soin maniaque dans le choix de ces images puisque évidemment aucune n’est anodine
Elles ont toutes une importance énorme.
Transformer l'original
Tombé amoureux d’une autre femme Suzanne Breton ajoute une troisième partie au texte sur l’amour véritable permis par l’amour contrarié avec Nadja
C’est cette dernière partie qui explicite ce qu’a signifié pour lui son aventure avec Nadja c’était l’annonce de l’amour mais ce n’était pas encore l’amour.
Ce n’est pas très sympathique pour Nadja mais c’est comme ça que Breton l’a vécu et il ne faut pas oublier que c’est un récit avant tout de l’authenticité et de l’analyse de soi
Des années plus tard en 1962, Breton modifie substantiellement le texte et les images d’origine.
Il efface notamment la nuit passée avec Nadja dans un hôtel que l’immense majorité des lecteurs actuels ne soupçonne donc pas…
Donc on perd là la dimension charnelle de l’histoire d’amour entre Breton et Nadja
C’est un réflexe de vieillesse qu’on s’explique un peu moins qui fait perdre un peu en fraîcheur en spontanéité le récit de Nadja alors que c’est précisément ce qui est intéressant à la base : c’est cette profonde spontanéité l’authenticité du récit de Nadja
Même Julien Gracq a trouvé que Breton se reniait par cette réécriture
Depuis 1928 peu à peu le mythe de Nadja a fini par effacer jusqu'à sa personne
À plusieurs reprises Breton a même reçu des lettres de femmes qui prétendaient être Nadja
Ce sont des femmes qui souvent étaient folles internées tellement prises par le mythe Nadja qu'elles finissaient par s'identifier
Et Breton lui-même à la fin de sa vie ne se souvenait plus bien de son nom hésitait avec celui d'Hélène
C'est quelque chose qui même pour Breton à ce moment-là dans les années 1960 se déréalise un peu
C'est le côté triste aussi de ce récit
à quel point une femme qui a existé pourtant a disparu de la mémoire