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Le goût de l’archive
passe par ce geste artisan,
lent et peu rentable, où l’on recopie les textes, morceaux après morceaux, sans en transformer ni la forme, ni l’orthographe, ni même la ponctuation. Sans trop même y penser. En y pensant continûment. Comme si la main, ce faisant, permettait à l’esprit d’être simultanément complice et étranger au temps et à ces femmes et hommes en train de se dire. Comme si la main, en reproduisant à sa façon le moulé des syllabes et des mots d’autrefois, en conservant la syntaxe du siècle passé, s’introduisait dans le temps avec plus d’audace qu’au moyen de notes réfléchies, où l’intelligence aurait trié par avance ce qui lui semble indispensable et laissé de côté le surplus de l’archive. Ce geste d’approche s’est imposé au point de ne jamais se distinguer du reste du travail. L’archive recopiée à la main, sur une page blanche, est un morceau de temps apprivoisé ; plus tard, on découpera les thèmes, on formulera des interprétations. Cela prend beaucoup de temps et parfois fait mal à l’épaule en tiraillant le cou ; mais avec lui du sens se découvre. Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Seuil, 1989
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