Nous habitons une époque, hélas !
obscurément avertie qu’elle n’a point d’avenir, où les initiatives les plus osées se risquent… jusqu’à refaire ce qui a déjà été fait, à répéter ce qui a déjà été dit dans un temps antérieur, et où ce qu’on appelle l’avant-garde est une héroïque phalange de jeunes audacieux que le courage et l’amour du scandale excitent jusqu’à recommencer des gestes qui n’étaient déjà plus, pour les académiciens d’aujourd’hui, le sujet du moindre étonnement.
Disons-le, parce qu’il faut le dire : nous vivons une époque bègue d’esprit, où la rérépépétitition tient la place éminente. Vous me direz, mon cher lecteur, que la routine confère aux choses un fondement sérieux. N’en croyez rien, et souvenez-vous de l’école où tant de balivernes qu’il a fallu désapprendre nous ont été rérépétées et cubiquement assurées avec la méthode de l’enfoncez-vous bien ça dans la tête. Mais les têtes n’en étaient pas plus claires ni les cœurs plus profonds, nous le savons et constatons tous les jours, ne serait-ce qu’à voir se façonner sous nos yeux notre Histoire qui est assurément de toutes les histoires humaines, la plus absurdement non-humaine, celle où assurément la sagesse fait le plus totalement défaut.
Légèreté et ignorance sont nos vertus cardinales, que vient couronner de son auréole éblouissante l’Imposture sacro-sainte et qui rallie tous les suffrages des regards si unanimement tournés vers les ténèbres extérieures que le moindre éclat d’une quelconque flammèche, le plus fumeux lumignon y sont aussitôt pris pour le plus incandescent soleil qui ait jamais voyagé par les immenses étendues de l’éternité. Armel Guerne Fragments 1961-1980
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liminaire
un léger sifflement du vent
dans les feuilles des arbres
dans le blanc invisible du jour
un instant tout est interminable
avancer sans savoir où
silencieux s’élançant timide ou hésitant
tuer le temps penaud à petits pas maladroit
jambes et bras liés et serrés contre le corps engoncé
évincé dans des vêtements trop étriqués
souffrant du froid sec froissé
qui serre étreint
le tissu raide
ride et sourire à la trace
bouche muette
le silence à l’intérieur
la commissure à peine désirable bat la mesure
sans déborder outre.
sensation d’enfermement
perdu en soi
instable souffle blanc
comme
un léger sifflement du vent
dans les feuilles des arbres
la main qui glisse sur la feuille
l’insupportable étirement
à double tour étirée
cette pression insensée
sans savoir où fermé
dans le blanc invisible du jour
l’âpreté des sens dans l’attente insupportable
de ce qui ne vient pas
ne viendra jamais
qui fait défaut sans savoir pourquoi
avancer malgré tout
pour combler ce vide en soi
cet appel d’air étrange
sans éviter le pire
du jamais vu
ne plus y penser
mais effacer jadis jusqu’aux souvenirs
de la veille et les rêves aux oubliettes évacués
se fixer ailleurs pour seul objectif
et tenter d’y croire contre toute attente
oui pour tout voir autrement
décidément l’espace d’
un instant tout est interminable
tête baissée
les yeux dans le vide
entre deux marches
lieu de tension absolu
regard vitreux
tête entrée dans les épaules tendues
avancer
sans chercher son chemin
sans demander son reste ni question ni remords
sans un geste penser au lendemain
au regard des autres
le murmure des pas autour de soi
des mots chuchotés dans son dos
les traces blanches qu’on devine presque jamais
sur le bitume à peine dessinées
inutile de les suivre
à l’infini
la souplesse est illusion d’esquisses
l’écoute impossible
sortie de route avancer
pour mieux rentrer
se fixer
ailleurs
pour seul objectif