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Une vieille maison,
un porche d’ombre, des tuiles,
une décoration arabe passée, un homme assis contre le mur, une rue déserte, un arbre méditerranéen (Alhambra, de Charles Clifford) : cette photo ancienne (1854) me touche : c’est tout simplement que là j’ai envie de vivre. Cette envie plonge en moi à une profondeur et selon des racines que je ne connais pas : chaleur du climat ? Mythe méditerranéen, apollinisme ? Déshérence ? Retraite ? Anonymat ? Noblesse ? Quoi qu’il en soit (de moi-même, de mes mobiles, de mon fantasme), j’ai envie de vivre là-bas, en finesse — et cette finesse, la photographie de tourisme ne la satisfait jamais. Pour moi, les photographies de paysage (urbains ou campagnards) doivent être habitables, et non pas visitables. Ce désir d’habitation, si je l’observe bien en moi-même, n’est ni onirique (je ne rêve pas d’un site extravagant) ni empirique (je ne cherche pas à acheter une maison selon les vues d’un prospectus d’agence immobilière) ; il est fantasmatique, relève d’une sorte de voyance qui semble me porter en avant, vers un temps utopique, ou me reporter en arrière, je ne sais où de moi-même : double mouvement que Baudelaire a chanté dans l’Invitation au voyage et la Vie antérieure. Devant ces paysages de prédilection, tout se passe comme si j’étais sûr d’y avoir été ou de devoir y aller. Or Freud dit du corps maternel qu’“il n’est point d’autre lieu dont on puisse dire avec autant de certitude qu’on y a déjà été”. Telle serait alors l’essence du paysage (choisi par le désir) : heimlich, réveillant en moi la Mère (nullement inquiétante).
Roland Barthes, La Chambre claire. (321-322)
in les Vaisseaux brûlés Renaud Camus
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