Paul les oiseaux ou la place de l'amour
Paolo Uccello
est en train de se débattre au milieu d’un vaste tissu mental où il a perdu toutes les routes de son âme et jusqu’à la forme et à la suspension de sa réalité
Quitte ta langue Paolo Uccello
quitte ta langue
ma langue
ma langue
merde
qui est-ce qui parle
où es-tu ?
Outre
outre
Esprit
Esprit
feu
langues de feu
feu
feu
mange ta langue
vieux chien
mange sa langue
mange
etc...
J’arrache ma langue
OUI
Pendant ce temps Brunelleschi et Donatello se déchirent comme des damnés
Le point pesant et soupesé est toutefois Paolo Uccello
mais qui est sur un autre plan qu’eux
Il y aussi Antonin Artaud
Mais un Antonin Artaud en gésine
et de l’autre côté de tous les verres mentaux
et qui fait tous ses efforts pour se penser autre part que là
chez André Masson par exemple qui a tout le physique de Paolo Uccello un physique stratifié d’insecte ou d’idiot et pris comme une mouche dans la peinture dans sa peinture qui en est par contrecoup stratifiée
Et d’ailleurs c’est en lui Antonin Artaud que Uccello se pense
mais quand il se pense il n’est véritablement plus en lui etc etc
Le
feu
où ses glaces macèrent
s’est traduit
en
un beau tissu
Et
Paolo Uccello continue la titillante opération de cet arrachement désespéré
Il s’agit d’un problème qui s’est posé à l’esprit d’Antonin Artaud mais Antonin Artaud n’a pas besoin de problème il est déjà assez emmerdé par sa propre pensée et entre autres faits de s’être rencontré en lui-même et découvert mauvais acteur par exemple hier au cinéma dans Surcouf sans encore que cette larve de Petit Paul vienne manger sa langue en lui
Le théâtre
est bâti et pensé par lui
Il a fourré un peu partout des arcades et des plans sur lesquels tous ses personnages se démènent comme des chiens
Il y a
un plan
pour Paolo Uccello
et
un plan
pour Brunelleschi et Donatello
et
un
petit plan
pour Selvaggia
la femme de Paolo
Deux trois dix problèmes se sont entrecroisés tout d’un coup avec les zigzags de leurs langues spirituelles et tous les déplacements planétaires de leurs plans
Au moment où le rideau se lève Selvaggia est en train de mourir
Paolo Uccello entre et lui demande comment elle va
La question a le don d’exaspérer Brunelleschi qui lacère l’atmosphère uniquement mentale du drame d’un poing matériel et tendu
BRUNELLESCHI
Cochon
fou
PAOLO UCCELLO
éternuant trois fois
Imbécile
Mais d’abord
décrivons les personnages
Donnons-leur
une
forme physique
une voix
un
accoutrement
Paul
les Oiseaux a
une voix
imperceptible
une démarche d’insecte
une robe
trop grande pour lui
Brunelleschi
lui a
une vraie voix
de théâtre sonore et bien en chair
Il
ressemble au
Dante
Donatello
est
entre les deux
saint François
d’Assise avant les Stigmates
La scène se passe sur trois plans
Inutile de vous dire que Brunelleschi est amoureux de la femme de Paul les Oiseaux
Il lui reproche entre autres choses de la laisser mourir de faim
Est-ce qu’on meurt de faim
dans l’Esprit
?
Car
nous sommes uniquement
dans l’Esprit
Le drame est sur plusieurs plans et à plusieurs faces il consiste aussi bien dans la stupide question de savoir si Paolo Uccello finira par acquérir assez de pitié humaine pour donner à Selvaggia à manger que de savoir lequel des trois personnages se tiendra le plus longtemps sur son plan
Car
Paolo
Uccello
représente l’Esprit
non pas précisément pur
mais détaché
Donatello
est l’Esprit surélevé
Il ne regarde déjà plus la terre
mais il y tient encore par les pieds
Brunelleschi lui est tout à fait enraciné à la terre et c’est terrestrement et sexuellement qu’il désire Selvaggia
Il ne pense qu’à coïter
Paolo Uccello n’ignore pas cependant la sexualité mais il la voit vitrée et mercurielle et froide comme de l’éther
Et quant à Donatello il a fini de la regretter
Paolo Uccello
n’a rien dans sa robe
il n’a qu’
un pont
à la place du cœur
Il y a
aux pieds
de Selvaggia
une herbe
qui ne devrait pas être là
Tout d’un coup Brunelleschi sent sa queue se gonfler devenir énorme
Il
ne peut la retenir
et
il
s’en envole
un grand oiseau blanc
comme du sperme qui se visse
en tournant dans
l’air