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Y a - t- il une écriture poétique ?
Ici les rapports fascinent, c'est le Mot qui nourrit et comble comme le dévoilement soudain d'une vérité; dire que cette vérité est d'ordre poétique, c'est seulement dire que le Mot poétique ne peut jamais être faux parce qu'il est total : il brille d'une liberté infinie et s'apprête à rayonner vers mille rapports incertains et possibles. Les rapports fixes abolis, le mot n'a plus qu'un projet vertical, il est comme un bloc, un pilier qui plonge dans un total de sens, de réflexes et de rémanences : il est signe debout. Le mot poétique est ici un acte sans passé immédiat, un acte sans entours, et qui ne propose que l'ombre épaisse des réflexes de toutes origines qui lui sont attachés. Ainsi sous chaque Mot de la poésie moderne gît une sorte de géologie existentielle, où se rassemble le contenu total du Nom, et non plus son contenu électif comme dans la prose et dans la poésie classiques. Le mot n'est plus dirigé à l'avance par l'intention générale d'un discours socialisé ; le consommateur de poésie, privé du guide des rapports sélectifs, débouche sur le Mot frontalement, et le reçoit comme une quantité absolue, accompagnée de tous les possibles. Le Mot est ici encyclopédique, il contient simultanément toutes les acceptions parmi lesquelles un discours rationnel lui aurait imposé de choisir.
Roland Barthes
Le degré zéro de l'écriture
Patrick Fleury
expansion blanche et noire 1997
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