Voici le passage essentiel
L’univers tout entier est composé de
systèmes stellaires.
Pour les créer, la nature n’a que cent corps simples à sa disposition. Malgré le parti prodigieux qu’elle sait tirer de ces ressources et le chiffre incalculable de combinaisons qu’elles permettent à sa fécondité, le résultat est nécessairement un nombre fini, comme celui des éléments eux-mêmes, et pour remplir l’étendue, la nature doit répéter à l’infini chacune de ses combinaisons originales ou types.
Tout astre, quel qu’il soit, existe donc en nombre infini dans le temps et dans l’espace, non pas seulement sous l’un de ses aspects, mais tel qu’il se trouve à chacune des secondes de sa durée, depuis la naissance jusqu’à la mort...
La terre est l’un de ces astres.
Tout être humain est donc éternel dans chacune des secondes de son existence.
Ce que j’écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, je l’ai écrit et je l’écrirai pendant l’éternité, sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes semblables. Ainsi de chacun...
Le nombre de nos sosies est infini dans le temps et dans l’espace.
En conscience, on ne peut guère exiger davantage.
Ces sosies sont en chair et en os, voire en pantalon et paletot, en crinoline et en chignon. Ce ne sont point là des fantômes, c’est de l’actualité éternisée.
Voici néanmoins un grand défaut : il n’y a pas progrès...
Ce que nous appelons le progrès est claquemuré sur chaque terre, et s’évanouit avec elle.
Toujours et partout, dans le camp terrestre, le même drame, le même décor, sur la même scène étroite, une humanité bruyante, infatuée de sa grandeur, se croyant l’univers et vivant dans sa prison comme dans une immensité, pour sombrer bientôt avec le globe qui a porté dans le plus profond dédain, le fardeau de son orgueil.
Même monotonie, même immobilisme dans les astres étrangers.
L’univers se répète sans fin et piaffe sur place.
L’éternité joue imperturbablement dans l’infini les mêmes représentations.
*
Quelques propos de
Walter Benjamin sur Blanqui et
L’Éternité par les astres
Blanqui qui,
au seuil de la mort,
sait que le Fort du Taureau est sa dernière prison,
et qui écrit ce livre pour se donner de nouvelles portes de cachot .
in
Paris capitale du XIXe siècle
Paris Cerf
1989
Le dernier texte que Blanqui ait écrit dans sa dernière prison est resté, autant que je puis le voir, totalement négligé jusqu’à aujourd’hui. C’est une spéculation cosmologique qui, il est vrai, s’annonce à la première lecture banale et inepte. Les réflexions maladroites d’un autodidacte ne sont toutefois que le prélude à une spéculation qu’on ne pensait pas trouver chez ce révolutionnaire. On peut dire en fait, dans la mesure où l’enfer est un thème théologique, que cette spéculation est de nature théologique. La vision cosmique du monde que Blanqui expose en empruntant ses données à la physique mécaniste de la société bourgeoise, est une vision d’enfer. C’est en même temps un complément à la société dont Blanqui au soir de sa vie avait dû reconnaître la victoire. L’aspect bouleversant de cette ébauche est qu’elle est totalement dépourvue d’ironie. C’est une soumission sans réserve et, en même temps, c’est le réquisitoire le plus terrible qui puisse être prononcé à l’encontre d’une société qui projette dans le ciel cette image cosmique d’elle-même. Le texte, qui est, quant à la langue, d’un relief très marqué, entretient les relations les plus remarquables autant avec Baudelaire qu’avec Nietzsche