Le regard dans le regard
« Je pense à toi en voyant le portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes, la future belle-sœur de Manet, que ce dernier a peint en1872. On dirait qu’elle est en grand deuil, mais elle est éblouissante de fraîcheur et de gaieté fine. Ce noir éclatant te convient. Ce que Manet a découvert dans le noir ? Le regard du regard dans le regard, l’interdit qui dit oui, la beauté enrichie de néant. Des philosophes ont écrit sur Manet, mais, comme c’est curieux, ils ne semblent pas avoir vu ses femmes. La très belle sœur de Manet le voit, lui, ce peintre, elle le traverse. Les violettes sont leur secret commun, elle porte le deuil en avant des massacres de la Commune. Elle a tout l’avenir devant elle. Ni la Terreur ni la Mort ne règnent ici, et le18e siècle français devait passer par ce noir pour s’approfondir. Le noir, donc, comme lumière, dans une jolie veuve, une jolie sœur. »
« Le oui dans le non : quelle trouvaille, et seul Manet l’a trouvée. Elle lui répond, elle l’aide, elle le devance. Cette sœur est l’éternelle ironie de la communauté, la liberté de vivre ou de mourir. Ce dialogue est un éclair dans la nuit, une lame de couteau ou de Tarot éclipsant les autres. Manet l’a brossé dans un grand élan. »
Philippe Sollers
L' Éclaircie
Gallimard
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