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L'homme de Vitruve
Léonard de Vinci
Pour représenter l'homme, l'artiste de la Renaissance est à la recherche d'une figure qui soit à la fois anatomique et esthétique. Il invente pour cela une fiction anthropométrique, qui ramène les proportions du corps à un schéma idéal. Aucun homme sur terre n'est bâti selon ces proportions d'harmonie parfaite (qu'on croit héritées des Grecs), mais le corps comme modèle universel tend abstraitement vers ces rapports de grandeur. Son architecture est un modèle naturel qui pourrait convenir à l'édification d'un lieu de culte ou d'un temple. La nature a créé ce chef d'oeuvre pour que nous ayions une idée de la beauté paradisiaque, même si ce paradis est perdu, et le corps est désormais livré au vieillissement et à la mort.
Dans ce corps humain, qui est la mesure de toute chose, la géométrie, l'anatomie et l'esthétique sont en conflit. Vinci réussit à faire coïncider les deux schémas de Vitruve en mettant le corps en mouvement. Quand l'homme écarte les jambes et étire ses bras, il peut entrer en contact avec la circonférence du cercle. Mais cet effort ne saurait être soutenu longtemps. En général, l'homme est au repos, enfermé dans la prison du carré qu'il touche de la plante des pieds et du sommet du crâne. Ses bras tendus ne dépassent pas les limites du carré.
Finalement,
la seule image du corps se révèle insuffisante
pour représenter l'homme.
Le corps réel est trop limité.
Hans Belting
Pour une anthropologie des images
Gallimard
Traduction du texte manuscrit :
«[...] que la Nature a distribué les mesures du corps humain comme ceci. Quatre doigts font une paume, et quatre paumes font un pied, six paumes font une coudée : quatre coudées font la hauteur d’un homme. Et quatre coudées font un double pas, et vingt quatre paumes font un homme ; et il a utilisé ces mesures dans ses constructions. Si vous ouvrez les jambes de façon à abaisser votre hauteur d’un quatorzième, et si vous étendez vos bras de façon que le bout de vos doigts soit au niveau du sommet de votre tête, vous devez savoir que le centre de vos membres étendus sera au nombril, et que l’espace entre vos jambes sera un triangle équilatéral. La longueur des bras étendus d’un homme est égale à sa hauteur. Depuis la racine des cheveux jusqu’au bas du menton, il y a un dixième de la hauteur d’un homme. Depuis le bas du menton jusqu’au sommet de la tête, un huitième. Depuis le haut de la poitrine jusqu’au sommet de la tête, un sixième ; depuis le haut de la poitrine jusqu’à la racine de cheveux, un septième. Depuis les tétons jusqu’au sommet de la tête, un quart de la hauteur de l’homme. La plus grande largeur des épaules est contenue dans le quart d’un homme. Depuis le coude jusqu’au bout de la main, un cinquième. Depuis le coude jusqu’à l’angle de l’avant bras, un huitième. La main complète est un dixième de l’homme. Le début des parties génitales est au milieu. Le pied est un septième de l’homme. Depuis la plante du pied jusqu’en dessous du genou, un quart de l’homme. Depuis sous le genou jusqu’au début des parties génitales, un quart de l’homme. La distance du bas du menton au nez, et des racines des cheveux aux sourcils est la même, ainsi que l’oreille : un tiers du visage»
Le corps idéal de Léonard de Vinci
s'inscrit au repos
dans un carré
et se tient au contact du
cercle parfait
à l'extrême limite de ses possibilités
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