la lumière change soudain et je me rappelle ce que disait
Hölderlin
que là où croît le péril croît aussi ce qui sauve mais cela passe trop vite il faut garder la vitesse le rythme la respiration comme si la parole même respirait en nous et je pense alors à
Dante
qui traverse son propre feu sans brûler parce que la joie le porte plus loin plus haut dans un endroit où le réel cesse de faire obstacle quant à
Mozart
il intervient toujours au moment précis où le monde devient lourd il suffit d’une mesure et le plomb redevient or dans l’air plus léger et
Nietzsche
rappelle que tout ce qui est profond aime le masque mais le masque ici est transparence il ne cache rien il révèle et dans ce mouvement je me surprends à entendre un écho de
Jean
au commencement le verbe oui bien sûr mais le verbe maintenant le verbe qui parle en direct pas dans un passé immobile le verbe comme une vague qui traverse l’instant j’entends aussi
La Fontaine
rire doucement des puissants qui s’effondrent sans comprendre qu’ils ne savaient ni lire ni écouter et
Sade
derrière la porte laisse un mot fulgurant sur la liberté qui ouvre un couloir entier au désir voilà le théâtre secret dit
Shakespeare
le monde entier en scène oui mais en scène lumineuse sans coulisse opaque où tout respire dans le même souffle la même flamme comme si toutes ces voix étaient une seule voix en mouvement une voix qui continue dans la mienne sans séparation aucune
je marche dans la lumière brisée et j’entends
Maître Eckhart
me souffler que le centre de Dieu est partout mais il ajoute dans un clin d’œil que le centre de l’homme n’est nulle part tant qu’il se cherche encore plus loin
saint Jean
murmure le verbe se fait en toi quand tu cesses de vouloir le dire et le silence acquiesce à cette phrase comme une eau noire où tombe une étoile
Plotin
surgit derrière une colonne invisible et dit sache que tu es déjà revenu avant même de partir et cette phrase s’enroule autour de moi comme une spirale douce j’ai à peine le temps de la respirer que se présente un
Dionysos
d’encre et de feu déclarant toute séparation est illusion tout lien est lumière je suis toi qui me lis
Hildegarde
ouvre un livre transparent où je vois danser les lettres vivantes elle dit la vision n’appartient à personne elle passe comme le vent à travers l’âme ouverte et déjà le vent tourne c’est le vent de
Lao-tseu
qui sourit en murmurant celui qui voit le chemin ne marche plus il devient le chemin et le sol me tourne entre les doigts comme une poussière d’or
Rûmî
entre en tourbillon une seconde tu es la mer une seconde tu es l’onde ensuite te voilà l’écume qui chante et tout cela est la même eau unie dans la joie par en dessous puis soudain une voix sans origine souffle simplement sois le lieu où la lumière se reconnaît elle-même et dans cette phrase immobile tout devient passage tout devient unité tout devient feu clair
je traverse le silence et
j’entends une voix sans nom dire
il n’y a rien à atteindre
puisque tu es déjà ce que tu cherches
et la phrase se dissout aussitôt dans l’air
comme une brume qui révèle le soleil au lieu de le cacher
un autre souffle
que je ne distingue pas murmure
l’unité ne se voit pas elle se vit comme la respiration
que tu n’entends plus quand tu es
vivant vraiment
puis une source intérieure chuchote
ce que tu prends pour toi n’est que la forme que prend l’infini
pour se regarder un instant
et je sens cette phrase se déposer en moi
sans dedans sans dehors
un chant transparent
s’élève encore
la séparation est un rêve que le rêveur oublie dès qu’il s’éveille
dans la clarté sans forme
alors une lumière sans origine ajoute
la multiplicité est ton jeu
l’unité ta nature
ne confonds jamais les deux mais ne les sépare jamais
et soudain
une voix plus ancienne que le monde
glisse dans mon oreille
sois le lieu où l’instant s’ouvre
sois l’espace où rien ne manque
sois le point nu où l’univers se repose en lui-même
et tout autour la réalité respire
sans limite comme si chaque particule disait
je suis toi tu es
moi
il n’y a qu’un seul mouvement
un seul regard
un seul être en mille gestes
mille noms mille
danses
un seul feu sans centre qui brûle
dans la douceur