celui qui
se contente de l’expérience du monde
ou de la croyance
n’écrit pas
ne fait pas de littérature
celui qui
croit être dans la langue comme
un poisson dans l’eau
barbote dans le bocal du monde
et n’écrit pas non plus
seul écrit celui
que la langue hante comme
une difficulté
un tourment
celui qui n’aime du monde
que ce que la langue
en change
on écrit
pour répondre à la honte d’être sans langue
à force d’user de la langue de tous
et d’être par cet usage
assigné au lieu des représentations communes
on écrit
pour ne pas céder à cet affaissement
abject
écrire
répond à
un refus d’être l’otage des fictions
que la parole commune
les représentations idéologiques et les croyances
qui s’y stratifient
tentent de nous faire prendre
pour la réalité
écrire
c’est refuser ces visions
assujetties
écrire
c’est alors
faire monter l’obscurité
dans l’obscène clarté des fictions
qui nous livrent au monde
en prétendant
nous le livrer
nous le raconter nous l’expliquer
mais
l’obscurité est à son tour
une clarté
elle éclaire
le sens de la spécificité humaine :
sur le monde
nous mettons moins des noms que des nons
des négations
des nons aux noms
qui sont déjà là et qui sont la fiction du monde
le monde comme fiction
les noms qui réduisent le monde
à
une image
à
une icône
à
une idole