Cantos du Traité théologico-politique
Dans le matin encore brumeux des écritures antiques
Spinoza avance calme
et touche du doigt les prophètes
Non pas des rois de la vérité
mais des hommes en proie aux images
où la voix de Dieu s’habille de songes
où la certitude est une braise qui chauffe le cœur
non une lumière géométrique
Il dit
Nul peuple n’est élu pour l’éternité
seulement appelé un temps
à vivre sous une même tente politique
Les lois qu’on nomme divines ne sont que des chemins vers la justice
tandis que les rites lourds d’encens
ne sont que les coutures qui tiennent un peuple ensemble
La véritable piété est simple nue
elle tient toute dans la justice et l’amour
Puis vient le livre
la grande fresque de mots transmis de main en main
de siècle en siècle
où Moïse n’est plus le scribe unique
mais l’ombre noble d’une multitude d’auteurs
La Bible dit-il est un parchemin cousu
un fleuve formé de mille sources
les unes claires les autres troubles
et son autorité n’est pas celle du marbre
mais celle d’une mémoire humaine
fragile vibrante parfois fautive
Les miracles — oh, les miracles !
ces éclats qu’on croit venus d’un doigt céleste
Spinoza les rend à la nature
à son ordre immuable
à son rythme sans rupture
Rien ne rompt le fil de Dieu
car Dieu n’est rien d’autre que ce fil infini
Ce que l’on nomme miracle
n’est que l’ignorance surprise par la puissance du réel
La révélation elle-même
murmure-t-il
n’est pas une fenêtre ouverte sur l’absolu
seulement un langage adressé aux imaginaires
adapté aux peuples aux temps
aux cœurs tremblants
Ainsi la raison demeure reine dans son royaume
incorruptible droite
et aucune écriture ne peut enchaîner sa marche
De la foi et de la raison
il trace deux lignes parallèles
l’une cherche l’obéissance juste
l’autre la vérité nue
Et lorsque leurs domaines se chevauchent
la confusion engendre la tyrannie
Il faut donc pour que l’esprit respire
que la philosophie s’exprime sans crainte
que la foi se tienne à son propre office
douce gardienne des humbles
Vient alors le cœur politique
ce moment où l’homme
animal de puissance
sort des ténèbres naturelles pour construire la cité
Chacun apporte sa force
comme on jette des pierres pour bâtir un rempart commun
Le droit naît de cette puissance rassemblée
et l’État pour durer
doit gouverner les actes
non les consciences
L’ancien Israël apparaît comme un mirage d’histoire
une théocratie fragile où la liberté brillait par instants
où le pouvoir était une balance délicate
toujours prête à rompre
Puis les régimes se succèdent
monarchie aux ailes lourdes
aristocratie aux mains froides
tous vacillent si la liberté manque
Enfin se lève la voix du chapitre ultime
comme un vent clair dans la gorge du monde
L’homme est né pour penser
On peut lui prendre sa maison sa vigne son manteau
mais jamais son jugement intime
Et c’est dans la démocratie
ce partage vivant du pouvoir
que l’esprit respire le plus large
que la parole s’élève sans trembler
que la paix naît de la clarté
et non de la peur
Ainsi s’achève le cantos de Spinoza
un chant pour ceux qui cherchent la liberté
non dans les éclairs du ciel
mais dans la force tranquille de l’intelligence humaine
dans la lumière égale de la nature
et dans la cité où l’on peut enfin
penser sans se cacher