le
paravent en papier a la forme
d’
une montagne
la
couverture en tissu ressemble
à
un quadrillage de calligraphie
pour ménager
mes yeux le rideau est rarement
dévoilé
*
Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
la phrase limonade tout était si infini que Kafka écrit dans une note ou qu’on trouve citée parmi ses fragments paraît minuscule et absurde à première vue
elle concentre son génie du vertige
Kafka juxtapose deux registres
le quotidien dérisoire la limonade boisson banale sucrée légère
le sentiment d’infini vertigineux métaphysique indicible
ce contraste crée une collision poétique :
l’immensité dans le banal l’éternel dans la bulle
ce n’est pas une ironie mais une sorte d’épiphanie kafkaïenne
le surgissement de l’absolu dans la matière la plus pauvre
dans ce fragment il n’y a ni sujet ni verbe ni contexte :
seulement une exclamation suspendue comme un souvenir d’extase ou de trouble
on peut imaginer Kafka dans un moment d’ivresse perceptive
où tout — même la limonade — paraît infini
le monde n’a plus de centre
une gorgée devient cosmos
c’est la logique de l’éveil et de l’absurde mêlés
dans la mystique l’infini se découvre souvent à travers le sublime
chez Kafka c’est l’inverse
l’infini se cache dans l’insignifiant
c’est une inversion du sacré
l’illumination surgit du trivial sans explication ni beauté apparente
ainsi limonade tout était si infini devient une
parabole de la disproportion
le monde n’a pas de mesure humaine
il déborde partout
même dans les bulles d’un verre posé sur une table
Kafka touche ici à la racine de sa vision
le sentiment que l’existence est infinie mais incompréhensible
que tout contient tout mais qu’aucun mot ne peut en rendre raison
le langage se brise reste seulement la juxtaposition d’images d’éclats
c’est une phrase d’enfant et de voyant à la fois
elle témoigne d’un instant où le monde se défait
et où l’esprit perçoit dans le moindre détail
l’abîme du réel
en somme
limonade tout était si infini
est une micro-révélation
un aphorisme en apesanteur
un moment où Kafka
goûte l’infini et le trouve sucré banal
presque ridicule mais absolument vrai