Etienne Binet
Le Citron
Le Citronnier à la feuille
d’Orangier
tousiours verte, les branches flexibiles,
revestuë d’escorce
verdastre
et épineuse, ses fleurs sont purpurées, en forme de clochette embaumée, du milieu pendillent de petits filets : il est tousjours meublé de fruicts, les uns naissent et se mettent au monde, les autres se poussent à la maturité ; les autres sont de cueillette, et prests à tomber pour faire place aux autres.
Les Citrons,
gros comme Melons ne sont pas si bons au goust
que les petits,
ils sont plus requis des Apoticaires,
à cause qu’ils ont plus de chair pour
confire au sucre.
La peau est d’or raboteux, ridé, inégal, et bosseté ; ils sont longuets, d’escorce charnüe et espaisse, d’odeur fort soüefve ; la moüelle sous la peau est aigre, pleine de jus, au mitan la graine (comme grains d’orge) vestüe d’une escorce dure, amere au goust, mais bonne contre le poison ; et les morsures des serpents ne nuisent aucunement quand on en a mangé (Athen. 1. c. en rapporte une belle histoire) elle trenche la melancholie et conforte le coeur comme aussi le fruict mangé cru, la semence toutefois n’est pas bonne à manger.
Le Limon est plus court, moins enflé, plus petit que le Citron, sa pelure est plus mince et dorée d’un or plus blaffard, comme un d’un or paillé et pasle, plus aigre au goust, plus riche en jus, longuets et en appointant, mais la pointe est un peu tortüe.
Pour de si gros fruicts il y a de quoi s’estonner voyant la petite queuë qui les soutient, quelle liaison et quelle colle peut les tenir si ferme qu’il ne se laisse emporter par un si grand poids ?
La peau n’est pas lissée, unie, et uniforme, mais sursemée de petites enfleures, la fueille plus large que celle de Laurier, mais comme toile, toute pertuisée, et troüée à jour, dentelée tout autour, d’odeur fort agreable.
L’Orange est vrayment de l’or enflé en pomme, car sa peau est d’un or naïf, cet or s’affine à mesure qu’elles se meurissent ; la fleur est blanche, d’odeur delicate de loin, de près trop aigue et donnant en teste ; son fruict est un petit grain verdelet sortant du sein et du coeur de la fleur ; il s’enfle petit à petit de verjus, il se cuit à la faveur du Soleil, il jaunit doucement, entre-meslant le saphir de sa verdure avec l’or naissant, l’or gaigne tout à la fin, et couvre toute la chair et le jus.
La fueille est comme du Laurier,
mais lissée,
large,
odorante,
espaisse,
trenchée de peu de filets et veines nourissantes,
finissant en pointe.
La branche est vestüe d’une escorce verde, blanchastre, tousjours chargée de fueilles et de fruict aussi.
L’escorce de l’Orange est grasse, amere, acre, mais cependant pleine de la plus delicate substance que les bons alterez espreignent sur le vin pour donner pointe au vin, et esperon à la langue, et esveiller l’appetit de boire.
L’eau distilliée des Limons est tres-bone pour le fard de ces popines qui mettent toute leur cervelle sur leur visage enluminé et plastré.
L’eau des fleurs d’Oranges est excellente pour les parfumiers ; il y a des Oranges douces, des aigres, des vineuses, les secondes sont excellentes pour purifier le sang, et garder la pourriture, quel plaisir de voir ces petites bouteilles pleines d’un jus tant agreable, toutes pendües à un arbre, et se meurissant peu à peu, se mesnageant à dessein pour en divers temps ouvrir l’appetit des dégouttez et nous conserver en vie ?
Etienne Binet
Essay des merveilles de nature
et des plus nobles
artifices
1622.
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François Bon parle d'Etienne Binet