Dans S/Z
Roland Barthes mobilise le structuralisme
pour déconstruire
méticuleusement la nouvelle d’Honoré de Balzac,
Sarrasine.
Il y montre comment les signes de classe sont exprimés par certaines descriptions, au premier abord innocentes, de fêtes, de meubles ou de jardins.
Ce livre donne les outils pour démêler ces codes sociaux dans n’importe quelle oeuvre d’art.
Mais ce que l’écriture non créative propose est à l’inverse du projet de Barthes : c’est une situation dans laquelle ces codes habituellement cachés constituent le cœur, voire la totalité de l’oeuvre.
Comme la publicité, la musique, le cinéma ou les arts visuels, le discours littéraire est passé au niveau supérieur.
Que faire d’une oeuvre comme « D’abord, mon Motorola » d’Alexandra Nemerov, qui est une liste de tous les objets de marque qu’elle a touchés au cours d’une journée, classés par ordre chronologique, de son réveil à son coucher ?
Le poème commence ainsi :
D’abord, mon Motorola
Puis mon Frette
Puis mon Sonia Rykiel
Puis ma Bvulgari
Puis mon Asprey
Puis ma Cartier
Puis mon Kohler
Puis mon Brightsmile
Puis ma Cetaphil
Puis mon Braun
Puis mon Brightsmile
Puis mon Kohler
Puis ma Cetaphil
Puis mon Bliss
Puis mon Apple
Puis mes Kashi
Puis mon Maytag
Puis mon Silk
Puis mon Pom
Et enfin :
Puis mon Ralph Lauren
Puis ma La Perla
Puis mon H&M
Puis mon Anthropology
Puis mon Motorola
Puis mon Asprey
Puis ma Cartier
Puis mon Frette
Puis mon Sonia Rykiel
Et pour finir, mon Motorola 74
Nemerov ne situe pas ces marques selon l’appréciation qu’elle en a, au contraire de Closky qui déclare « gaiement » qu’il « aime » son réfrigérateur à humidité contrôlée.
Il n’y a rien d’autre ici que des marques.
Nemerov est un code, une coquille, un pur robotconsommateur.
En appliquant le fameux slogan de Barbara Kruger,
« J’achète donc je suis »,
elle a l’audace de créer un nouveau genre d’autoportrait : une démographie complice dont rêverait tout commerçant.