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L’œuvre de TW –
d'autres l'ont justement dit -, c'est de l'écriture ; ça a quelque rapport avec la calligraphie. Ce rapport, pourtant, n'est ni d'imitation, ni d'inspiration ; une toile de TW, c'est seulement ce qu'on pourrait appeler le champ allusif de l'écriture (l'allusion, figure de rhétorique, consiste à dire une chose avec l'intention d'en faire entendre une autre). TW fait référence à l'écriture (comme il le fait souvent, aussi, à la culture, à travers des mots : Virgil, Sesostris), et puis il s'en va ailleurs. Où ? Précisément loin de la calligraphie, c'est-à-dire de l'écriture formée, dessinée, appuyée, moulée, de ce qu'on appelait au XVIIIe siècle la belle main.
TW dit à sa manière que l'essence de l'écriture, ce n'est ni une forme ni un usage, mais seulement un geste, le geste qui la produit en la laissant traîner : un brouillis, presque une salissure, une négligence. Réfléchissons par comparaison. Qu'est-ce que l'essence d'un pantalon (s'il en a une) ? Certainement pas cet objet apprêté et rectiligne que l'on trouve sur les cintres des grands magasins ; plutôt cette boule d'étoffe chue par terre, négligemment, de la main d'un adolescent, quand il se déshabille, exténué, paresseux, indifférent. L'essence d'un objet a quelque rapport avec son déchet : non pas forcément ce qui reste après qu'on en a usé, mais ce qui est jeté hors de l'usage.
Ainsi des écritures de TW.
CE SONT LES BRIBES D'UNE PARESSE, DONC D'UNE ÉLÉGANCE EXTRÊME ; COMME SI, DE L'ÉCRITURE, ACTE ÉROTIQUE FORT, IL RESTAIT LA FATIGUE AMOUREUSE : CE VÊTEMENT TOMBÉ DANS UN COIN DE LA FEUILLE.
Roland Barthes,
Cy Twombly ou “Non multa sed multum”
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