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Andrea Bianco
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Alain Santacreu,
Le Manifeste contrelittéraire.
Qu’est-ce que la contrelittérature ?
Nous la définirons en paraphrasant l’explicit des Considérations sur la France de Joseph de Maistre – « Le rétablissement de la monarchie, qu’on appelle contre-révolution ne sera point une révolution contraire, mais le contraire de la révolution » – que nous reformulerons ainsi : le rétablissement de la littérature, qu’on appelle la contrelittérature, ne sera point une littérature contraire, mais le contraire de la littérature.
L’état d’inanition de la littérature actuelle rendait nécessaire l’invention de ce concept au risque de ne plus pouvoir penser la littérature même. Or, que sommes-nous, sinon ce que la littérature a fait de nous ?
GENS DE LETTRES ET GENS DE L’ÊTRE
C’est dans les salons du XVIIIe siècle, dans la grande nuit des Lumières, qu’apparurent les gens de lettres. La littérature, au sens moderne, sortit des gynécées de Mesdames de Lambert, de Tencin, du Deffand et de Mme Georgin, l’inénarrable Mme Verdurin du siècle de Voltaire.
La gendelettre, comme la dénommera plus tard Balzac, se propagea bientôt dans les cercles, les clubs et les cafés : au Procope, un Boindin, athée notoire, littérateur et dramaturge à succès, clamait bien fort son mépris pour « Monsieur de l’Être ». Car c’est contre l’Être, c’est-à-dire contre Dieu, que s’est formée la Grande prostituée de la littérature. La sociabilité littéraire engendra la Nomenklatura des « bureaux d’esprit », les cellules idéologiques propices à voiler l’Esprit aux yeux des hommes, à les détourner de l’intelligence de la Vérité.
Le combat de la contrelittérature est celui des gens de l’Être, à la fois extérieur, dans l’ordre temporel, contre l’horizontalité carcérale du monde moderne, mais aussi intérieur, spirituel, celui d’une remontée allégorique, à contre courant, du fleuve des immondices de la modernité jusqu’aux sources les plus pures de la naissance du roman occidental, du roman de cette époque romane qui est la littérature que la contrelittérature doit rétablir, ou plutôt récapituler. Pour les gens de l’Être, la Parole est la racine du monde, l’Alpha et l’Oméga des êtres et des choses. Ils croient en une dimension eschatologique du langage : ils sont le « petit reste » qui s’ouvre à l’œuvre de Celui qui doit venir en consolateur, en défenseur, en justicier. Les gens de l’Être sont les sujets du Verbe.
Le terme de « littérature », au sens moderne, apparaît à la fin du XVIIIe siècle, alentour des temps révolutionnaires, et ce n’est pas anodin : la littérature a joué un rôle essentiel dans l’imposture herméneutique qui, à partir de la Renaissance, en opposition aux valeurs patriarcales du Livre, s’est attachée à diffuser la femellitude du monde moderne. C’est pourquoi à la récapitulation de la littérature doit correspondre la restitution de l’éternel féminin.
Le siècle des Lumières matérialisa la forclusion idéologique de la puissance paternelle et le rejet de l’autorité divine que le gouffre effroyable du régicide allait concrétiser. La mort du père est l’effacement de la conscience de l’exil ontologique, la réduction à l’immanence existentielle ; et, cette immanence, loin d’être réelle, se révèle fictionnelle : loin de nous donner une emprise plus grande sur la réalité, elle nous enlise dans la fiction. « Il faut absolument tuer l’esprit du XVIIIe siècle », a écrit Joseph de Maistre dans sa correspondance : cet acte contrelittéraire fondamental est le contraire du crime dont l’essence est la jouissance de « tuer Dieu ».
L’« esprit philosophique » est celui des gens de lettres, comme en témoigne la lumineuse signature collective de leur « Bible » : Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres.
Maistre, dans le huitième entretien des Soirées de Saint-Pétesbourg, dénonce l’inversion du pouvoir spirituel et politique des « savants » qui « ont usurpé une influence sans bornes » et, plus tard, Tocqueville fustigera de même, dans L’Ancien Régime et la Révolution, « l’esprit littéraire » de la modernité.
Seuls les gens de l’Être, à l’image de la petite Thérèse de Lisieux, peuvent dire : « Mon nom est dans les étoiles ». Mais nous sommes tous devenus des gens de lettres : des footballeurs, des mannequins, des financiers, des politiciens, des écrivains à la mode, des gens célèbres ou des inconnus qui voudraient l’être. Toutefois, avoir un nom, ce n’est pas savoir son nom. La révélation du nom est donné au vainqueur du combat spirituel contre l’ego : « Au vainqueur, je donnerai la manne cachée et je donnerai aussi un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit. »1. La modernité propose l’analogue inversé de l’anonymat spiritualisé, c’est l’anonymat de la foule, de l’uniformisation des masses. Dans le monde de la tradition, l’anonymat provient d’un dépassement du moi individuel, de son effacement devant le Soi véritable.
L’universalisme philosophique, usurpateur de mots, géniteur de l’homme collectif, avorteur de l’homme universel, de l’homme intérieur, a décapité l’intime, cette vocation à « rentrer en soi-même » – l’ensimismamiento, disait Ortega y Gasset – car l’ « intériorité » est le coeur de l’universalité. Si nous voulons nous ouvrir à l’Œuvre alchimique du christianisme, nous ne pouvons faire l’économie du concept de contrelittérature : il nous faut récapituler la littérature pour découvrir la réalité du corps glorieux.
Alain Santacreu, Le Manifeste contrelittéraire.
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