Bertso
Les habitants du quartier squatté d’Errekaleor font silence
Dès que le couple debout sur l’estrade aura débuté sa scansion le seul son qui aura ici sa place sera celui des bertsos ces improvisations chantées en langue basque
La femme ferme les yeux plonge au plus profond de sa langue puis commence
Elle chante clair et fort avec ce roulement des r qui la caractérise
Les strophes s’enchaînent au fil d’une mélodie sans fioritures
Un premier vers de dix pieds l’autre de huit ses mots se coulent sans heurts dans une métrique extrêmement codifiée
Le rythme d’abord traînant s’accélère entièrement au service de la chute
Encore quelques rimes et voilà qu’elle surgit époustouflante au milieu des vivats et des applaudissements
L’homme se met à son tour à chanter lui répond elle sourit déjà
Puis les éclats de rire se répandent
Une habitante du quartier dévoile le thème de la prochaine improvisation Carles Puigdemont est enfermé avec un prisonnier d’ETA
Le chant débute après quelques secondes de concentration
Restent aux étrangers la musicalité de l’euskara et l’émotion du public
Les deux bertsolaris invités Amets et Maialen sont détenteurs de la Txapela le trophée du grand concours de bertsos se déroulant tous les quatre ans face à pas moins de 14 000 personnes
Mais malgré l’engouement de la communauté euskaldun pour leur art leur vie leurs amours même ils n’ont rien de célébrités lointaines
Pour improviser les meilleures blagues à même de faire rire des squatteurs ou pour trouver le vers qui touchera au cœur les habitants d’un petit village de montagne il faut être ancré dans ce territoire dans ses anecdotes ses rumeurs et ses humeurs
Ainsi bien qu’auréolés d’un certain prestige les bertsolaris ne sont pas des stars n’endossent pas le costume de l’artiste tel qu’on le connaît ailleurs
Le moment de la création étant celui-là même où ils s’exposent au public nulle tour d’ivoire ne les en protège ni ne les en éloigne
Le bertso se love entièrement dans le temps et l’espace où il est chanté et inventé bien que l’on sache pertinemment que pour qu’il soit réussi de longues heures d’entraînement l’ont nécessairement précédé
Amets et Maialen continuent ainsi leur duel n’épargnant pas les cuisiniers et leur tofu les couvreurs-squatteurs et leurs talents douteux pour finir par relater les dernières nouvelles de la communauté
Ce sont deux bertsolaris parmi ces centaines d’autres qui font retentir leurs rimes lors de banquets au fin fond d’un trinquet ou devant une église
Ce qu’ils nous racontent à nous étrangers c’est un amour passionnel pour la langue basque d’autant plus fort qu’elle est aujourd’hui minoritaire dans son territoire
Sur les trois millions d’habitants du Pays basque seuls 600 000 sont bascophones
Ce danger de disparition renforce à n’en pas douter l’attachement à cette langue à son maniement raffiné et à la culture qu’elle seule peut véhiculer
Être basque
se traduit
littéralement en euskara
par
parler la langue basque
un bertso à huit rimes
improvisé en une poignée de secondes par Maialen Lujanbio
vainqueure de la finale du 17 décembre 2018
autour du thème
Il y a une demi-heure que la même voiture vous suit
Miribillako rotondan
errekarriz errekarri
bezalaxe egin ditut
mila bueta errukarri,
geratzen dira kotxeak
ta guk begira elkarri
beraieck « etorri » esan
ta guk : « dirua ekarri ! »
Nahi bezalasso bezero
atseginik ez da sarri
ta askotan gisan orain
autoan estu ta larri,
ertzain auto bat atzetik
eta sirenak aldarri
baietz bera libre utzi
ta neri isuna jarri (bis)
Au rond-point de Miribilla
de pavé en pavé
j’ai tourné mille fois
de manière misérable ;
les voitures s’arrêtent
et nos regards se croisent
eux nous disent : « viens ! »
et nous : « donne le fric ! »
Il n’y a pas souvent
de clients qui nous sont agréables,
et comme tant de fois, en ce moment,
me voilà dans la voiture, tendue et inquiète,
derrière nous une voiture de police
et les sirènes qui crient,
je parie qu’ils le laisseront libre
et que l’amende sera pour moi. (bis)
Abécédaire du Pays basque insoumis