Poser l’oreille contre
un coquillage
c’est se donner à entendre tout
un océan
Le bruit coloré afflue et reflue en vagues interminables enserrées dans l’espace nacré et étroit.
Pourtant, c’est un en-dehors qu’on perçoit, un espace ouvert.
L’oreille porte l’auditeur au loin.
L’impression de mer atteste de la tangibilité d’un son prisonnier d’une conque.
C’est bien le son de la mer qu’on entend à travers le coquillage.
Une telle écoute n’expose pas pour autant un son océanique.
Elle révèle au contraire des territoires parsemant l’océan, des territoires en archipel.
Le coquillage n’est pas le bord de mer.
Il n’est pas le lieu de l’expérience d’une mer authentique, même si l’expérience d’écoute de la mer à travers lui est authentique.
Il n’est pas non plus le lieu du mystère, au contraire.
Le coquillage ne peut que restituer le bruit de la mer.
Quel intérêt pourrait-il présenter sans cela, sans offrir la certitude d’entendre la mer en y posant l’oreille?
L’expérience du bord de mer, quant à elle, peut offrir de l’inouï.
Dans le monde entier ont été entendus sur certains rivages des sons inexpliqués, probablement liés à des événements atmosphériques.
Ces bruits, appelés «mistpoeffers» en Europe ou «uminari» au Japon, résistent à une description simple.
Souvent comparés à des coups de tonnerre ou de canons, on les associe parfois à un roulement de chariot ou à un écroulement de rochers.
Le fait est que ces «exhalaisons sonores», audibles à des kilomètres à la ronde, pesant sur l’oreille comme si elles allaient «défoncer le tympan», saisissant l’auditeur et engendrant chez lui «un ébranlement à la fois physique et moral», intriguent et inquiètent (1).
Le bruit de la mer, captif du coquillage, n’inquiète pas.
Au contraire, il rassure, soulage.
Il affirme une permanence, une tranquillité, là où le son mystérieux des bords de mer ne révèle rien.
En fait, un tel son ne s’origine pas lui-même, c’est un son qui n’a pas de lieu ou qui n’a tout simplement pas lieu.
Le son inexplicable occupe l’espace et s’y dissout sans laisser de trace, mis à part, peut-être, celle d’où jaillit l’inquiétude constatant précisément l’absence de trace.
Dans les environs de Naples, il existe une croyance qui attribue l’origine des chants populaires à Virgile.
Un recueil écrit de sa main serait tombé au fond de la mer et c’est en collant l’oreille contre un coquillage que les chants du poète auraient été découverts.
À travers le coquillage se révèle le caractère double d’une écoute où à la fonction sensible se superpose toujours une fonction de langage.
Le bruit de la mer et les poèmes de Virgile ont tous deux le même vecteur sensible et la même destination.
Son et audition.
L’oreille, à la mesure d’une telle écoute, s’inquiète, se rassure, tisse des rapports d’intimité avec l’inconnu ou forge un savoir à travers le langage.
L’oreille est fragile.
Elle est sous influence.
1
Cf. E. Van Den Broeck,
«Un phénomène mystérieux de la physique du globe»,
in Ciel & Terre
n°17
1897
François J. Bonnet
Les mots et les sons
un archipel sonore