vous connaissez l’histoire de Bartleby
comment il a vécu
comment il est mort
ça vous a plu
vous en demandez encore
eh bien voici
un merveilleux petit livre de 116 pages
L’imitation de Bartleby
Julien Battesti
publié aux éditions Gallimard
dans la collection
L’infini
qui en relance le mystère
on ne sait rien de son auteur sinon qu’il aurait d’abord publié un extrait de ce livre dans l’étrange revue Ligne de risque
c’est son premier roman et c’est le genre de livre qu’on commence par inadvertance charmé par les premières phrases où l’on fait connaissance avec un étudiant en théologie de l’Institut catholique qui ne cesse de tomber et vit allongé sur le plancher de sa chambre et voici qu’on le lit d’une seule traite tant les aventures de ce jeune homme sont gorgées d’énigme
doublées d’ombres sacrées
comme il l’écrit
Bartleby est ce personnage d’une nouvelle d’Herman Melville employé aux écritures dans un bureau de Wall Street il répond invariablement aux ordres de son patron par cette bizarre formule
I would prefer not to J’aimerais mieux pas
qui désactive toute prise
est-ce un refus
pas exactement
c’est peut-être pire
Bartleby ne veut rien
chassé du bureau il dort dans la cage d’escalier puis se laisse mourir contre un mur en prison
ce récit fascinant qui a suscité une glose infinie Deleuze Blanchot Agamben est ici l’objet d’un midrash c’est-à-dire d’une interprétation biblique
qui est ce Bartleby auquel le narrateur s’identifie obscurément
faire de sa vie un déchiffrement est une promesse d’initiation
l’existence est
un buisson de signes
qui ne demande qu’à s’enflammer
pour ceux
qui savent voir
il y a partout des signes
le monde ne cesse de s’écrire
ainsi le jeune théologien malade déchiffre-t-il sur un mur de Paris un extrait d’lnferno de Strindberg qui le conduit- en un parcours kabbalistique qui est aussi une trame de guérison jusqu’à la tombe de James Joyce à Zurich en passant par le site Internet de Dignitas une association d’ assistance au suicide sur lequel il visionne la vidéo ahurissante où Michèle Causse la traductrice de Bartleby met fin à ses jours
un tel périple le destine à une vérité qui sauve
ainsi entre-t-il dans ce pays de révélation perpétuelle
qu’est la littérature
car celle-ci n’est-elle pas depuis sa dimension profane
une torsion extatique des Écritures
voilà
Battesti déchiffre Bartleby il montre combien son apparition cryptée renvoie au voyage de Moïse et les murs de Wall Street à l’esclavage d’Égypte