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Vannina Maestri
sur la façon
dont elle construit ses textes
Pour moi le texte est objet littéraire plastique :
il faudrait zoomer, cliquer, zapper sur le texte.
Le réel ne s’arrête jamais,
il n’y a pas de raison pour que le texte soit statique.
Voici une petite tentative d’explicitation générale - ou comment je construis mes textes - ou pourquoi accumuler et coller des fragments.
Quand on me lit ou quand on m’écoute on a l’impression de suivre une narration surchargée d’éléments divers. Ces éléments variés semblent vouloir interroger le sens et se heurtent quelquefois à une limite brutale, un « cut ». Mes textes sont composés de fragments et je pense que le lecteur ne peut en général accepter ce qu’il lui semble être un chaos. Il essaye donc de recréer une narration, d’attraper ici ou là un sens avec un sujet, avec des éléments reconnaissables. Mon but est de demander au lecteur ou à l’auditeur d’organiser ce qu’il lit ou entend.
Mon premier texte Débris d’endroits en 1999 commençait par les mots « à feuilleter ». je demande en effet une lecture active et non passive : composer les pages comme on le désire, commencer par la fin du texte etc. Je demande que l’on se confronte aux paradoxes, aux phénomènes, à un apparent illogisme à l’œuvre. Mais comment discerner, si les énoncés sont trop abrupts, quelles sont les relations qui se créent ?
On ne reconnaît plus rien. On peut penser qu’il s’agit d’un délire. Si le lecteur accepte de dériver, de jouer avec les fragments, d’aller vers de nouveaux territoires comme je le lui demande, il va alors vers une surprise du texte à inventer. C’est une action qui impose un dialogue et une écoute multiples. Ma démarche est de donner à voir toutes les possibilités d’invention d’un texte. J’emprunte les sujets, j’effectue des superpositions, des télescopages.
J’essaie de réaliser des transparences d’objets. J’utilise les ensembles de mots, de descriptions diverses mais fragmentés de manière abstraite, comme un peintre qui renvoie des couleurs et des formes sur la toile les unes vers les autres, le regard organisant l’ensemble. Le propre du langage est d’être très fortement référencé. Je ne peux par exemple faire semblant de lire « Le dit du Genji » écrit au Japon au XIème siècle : il me faut un appareil de notes.
Donc j’interroge sans cesse par mon montage, la fonction relative d’une certaine histoire, d’une pratique culturelle de la langue. J’utilise les textes d’une époque, dans un contexte donné. Aujourd’hui j’utilise des singularités qui ont entre elles des rapports définis. Je les interroge et les fais jouer. Les événements s’autorisent des rapprochements inattendus, ça parle de partout et de nulle part. J’essaie d’atteindre avec le montage d’éléments divers à une certaine vitesse de mouvements d’intensités des références habituelles de la langue.
Accélérer les phrases, les mots, les perceptions, les images. Les possibilités fonctionnelles, fictionnelles et intellectuelles de mes propositions sont battues comme des cartes de jeu et deviennent peut-être enfin narratives. Elles racontent, déroulent quelque chose ici et maintenant. La forme apparemment achevée est en réalité en mouvement. Je me demande : a-t-on besoin de significations ? Selon moi c’est la forme elle-même qui est la signification réelle : elle est le renversement, l’énergie, la vitesse, la manipulation.
Accélérer les phrases, les mots, les perceptions, les images. Les possibilités fonctionnelles, fictionnelles et intellectuelles de mes propositions sont battues comme des cartes de jeu et deviennent peut-être enfin narratives. Elles racontent, déroulent quelque chose ici et maintenant. La forme apparemment achevée est en réalité en mouvement. Je me demande : a-t-on besoin de significations ? Selon moi c’est la forme elle-même qui est la signification réelle : elle est le renversement, l’énergie, la vitesse, la manipulation.
Ce que je dis dans mes textes depuis le début c’est : quoi qu’on fasse il y a trace. Même si je fabrique un texte comme une crise dont la fin semble inimaginable.
La page est un plan, une carte, sur ce plan ou carte je projette des textes-images et ce qui importe c’est le mouvement, c’est ce qu’il y a entre. Entre les propositions. Ce qui emporte c’est le montage. Ce que je tente de réaliser c’est non pas un sujet qui commande la phrase et la hiérarchise - la phrase est la carte, le plan, la société - je propose un ordre ou un désordre à renouveler, à composer.
Cependant je ne peux empêcher de faire se succéder malgré les déconstructions et le nomadisme, l’installation d’un ordonnancement poétique, textuel. Cette mise en place ou continuité est montrée comme un réseau. Les relations de situations, de petites singularités s’entremêlent. Les zones de textes sont des réécritures, des vols de textes existants, écrits par moi ou par d’autres - peu importe. Cette réalité textuelle joue avec les boucles narratives. Car le but est que le texte soit multiple, qu’il ne soit jamais là où on l’attend. Il y a simultanéité des situations, chevauchement des messages, faits divers, publicité, politique, séries TV…On se dit qui parle, pour qui et à la place de qui.
Donc qu’est-ce que la fragmentation ? Le travail sur le fragment. Ce sont des découpages de divers moments et une pluralité vive des sensations qui se croisent, s’interpellent. Ne pas construire un texte où régnerait l’ordre mais jouer avec le désordre. Il me semble que c’est dans le détourné, les virages, les ellipses, dans les tremblés que l’on arrive peut-être à une plus grande précision, que l’on arrive peut-être à dire une époque troublée, plurielle, sans idéologie, multi culturelle.
Comment concrètement rendre visible un paysage textuel divisé. Dans une page le passé et le présent du texte se manifestent en même temps. Par exemple l’étymologie d’un mot, son épaisseur historique, son rapport à la mode encore en mémoire et son utilisation actuelle dans un cut up dont la signification est saisie en un instant. Petit à petit le texte vieillit il faut ajouter des notes, des strates de significations. Il y a un sur-texte qui s’accumule.
J’essaie de faire tenir ensemble des hétérogènes, une matière en mouvement avec des variations continues et à toute vitesse. Car je réutilise aussi les idées et les images perdues. A l’arrivée le texte est constitué de techniques diverses, de couleurs, d’espaces et de temps. Il est adéquation avec le réel, prise en compte du réel, tentative de document, mais sans aucune illusion, sans utopie, peut-être simplement du langage. C’est un imaginaire à explorer. Un jour c’est tel élément qui prendra de l’importance, un autre jour un autre élément. Tout texte est inachevé, est en cours, flotte entre plusieurs états.
J’essaie de faire tenir ensemble des hétérogènes, une matière en mouvement avec des variations continues et à toute vitesse. Car je réutilise aussi les idées et les images perdues. A l’arrivée le texte est constitué de techniques diverses, de couleurs, d’espaces et de temps. Il est adéquation avec le réel, prise en compte du réel, tentative de document, mais sans aucune illusion, sans utopie, peut-être simplement du langage. C’est un imaginaire à explorer. Un jour c’est tel élément qui prendra de l’importance, un autre jour un autre élément. Tout texte est inachevé, est en cours, flotte entre plusieurs états.
Pour moi le texte est objet littéraire plastique : il faudrait zoomer, cliquer, zapper sur le texte. Le réel ne s’arrête jamais, il n’y a pas de raison pour que le texte soit statique.
De nouvelles propositions
vont imposer au texte une dynamique nouvelle.
Les inscriptions vont insérer dans le flux de paroles des gestes nouveaux.
Nous enregistrons des milliers d’images et des milliers de mots : cette impermanence doit pour moi pouvoir s’inscrire dans l’écriture.
Vannina Maestri, avril 2010
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