Je me concentre, je fais le vide en moi, je vise ses racines, je les devine et je les dessine, je m'enfonce avec elles dans une obscurité sans retour, je griffe, je creuse, je m'enterre, je trouve l'eau qu'il me faut, je remonte vers ma base, mon tronc, me voici, je perce, je respire, je me cylindre, je m'écorce, je boise, je branche, je feuille. Et puis l'espace, ah l'espace. Et puis le temps, ah le temps. Soleil, vent, pluie, gel, brouillard, brume, lune, soleil de nouveau, ombres, tiges,noeuds coudes, rameaux, oiseaux, nids, brindilles, grincements, murmures, levant et couchants. Ce n'est déjà plus un arbre, c'est une forêt. Il n'a plus de nom, mon arbre. Chêne, platane, marronnier, cèdre, pin, magnolia, peuplier, accacia, catalpa, palétuvier, figuier, arbousier, saule, cyprès, if, sapin, troène, ormeau, tilleul - il pousse un peu partout, je comprends grâce à lui les sols, les rochers, le gravier, les cailloux, le sable, les ruines, les ruissellements, les insectes. Et puis l'air, le bel air, l'incroyable chance de l'air, l'air libre, libre comme l'air, libre comme l'amour libre en plein air. Et puis bien entendu, les poumons, le nez. Et puis, dans la foulée, l'orage, la foudre, les fruits, les ailes, les chants, les cris, les chevaux, les vaches, les moutons, les chats, les chiens, les pieds, les mains.
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Ph. Sollers, une vie divine
Gallimard 2006, P.72
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