Cézanne et Hokusai
ont peint la même vague à des vitesses différentes
non pas la même eau
mais le même événement du monde saisi
selon deux régimes du temps
Chez Hokusai la vague est instant critique
point de bascule
forme tendue vers sa propre rupture
Elle est rapide décisive presque calligraphique
le monde surgit d’un seul geste
comme si le temps avait été comprimé
jusqu’à devenir signe
La vague n’est pas observée elle est reconnue
déjà là
déjà en train de disparaître
Chez Cézanne la vague même absente du motif marin
est lenteur insistante
accumulation de regards
retour obstiné sur la même forme
Le monde ne surgit pas
il se construit
par couches
par corrections
par résistances
La vitesse est celle de la perception qui apprend à voir
en se heurtant à ce qu’elle ne comprend pas encore
Ce n’est donc pas la vague qui change
mais le rapport au temps
Hokusai travaille dans un temps rythmique
cyclique
où la forme naît d’un accord profond
entre le geste et le monde
Cézanne travaille dans un temps critique
épais
où
la forme
est toujours en retard
sur ce qu’elle cherche à atteindre
L’un peint à la vitesse du souffle
l’autre à celle du doute
L’un sait avant de tracer
l’autre trace pour savoir
Mais tous deux rencontrent la même chose
une réalité qui n’est jamais donnée d’un seul coup
La vague est ce qui arrive
entre le monde et l’œil
entre la nature et la conscience
entre le visible et ce qui insiste pour être vu
Ainsi
peindre
à des vitesses différentes
ce n’est pas représenter autrement
c’est habiter autrement le temps c’est faire
ce n’est pas représenter autrement
c’est habiter autrement le temps c’est faire
de la peinture non une image du monde mais une
expérience de sa
durée


Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire