Signes de richesse
notes
des voix qui lisent
Li Yi-chan
*
ne sais pas
ce qui s’est éloigné
branches sèches
tremblements
gestes épars
sur les visages perdus
ne sais pas
Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
Signes de richesse
notes
des voix qui lisent
Li Yi-chan
*
ne sais pas
ce qui s’est éloigné
branches sèches
tremblements
gestes épars
sur les visages perdus
ne sais pas
Les soixante-dix langues
Le soir avant le Troisième Repas ses disciples les plus importants avaient pris place autour de la table attendant l’arrivée du Maître
Ils disputaient ensemble de certain passage du Talmud dont ils s’apprêtaient à lui demander l’éclaircissement
Il s’agissait de la phrase qui dit
Gabriel apprit à Joseph soixante-dix langues
Comment donc l’intelligence d’un seul homme en une seule nuit ainsi qu’il est dit dans le texte saurait-elle se montrer capable de recevoir et de comprendre toutes ces langues
?
Et ils convinrent finalement de charger Rabbi Guershom le beau-frère du Baal-Shem d’interroger le Maître sur ce point
Quand le Baal-Shem arriva et prit place au haut bout de la table Rabbi Guershom lui posa donc la question.
Et le Baal-Shem prit la parole développant un commentaire qui semblait bien n’avoir aucun rapport avec le sujet et où les disciples étaient incapables en tous cas de trouver la moindre réponse à la question qui les préoccupait
Mais voilà que se produisit tout à coup quelque chose d’inouï tout à la fois inconcevable et sans explication possible : frappant la table au beau milieu du saint exposé Rabbi Yaakov Yossef de Polna s’était écrié
et ainsi continuait-il langue après langue
d’exclamation en exclamation
Peu à peu ses compagnons comprirent que grâce à l’exposé du Maître qui semblait traiter de tout autre chose le disciple avait appris à connaître la source et l’essence de chaque langue.
car celui
qui t’enseigne la source et l’essence
d’
une langue
c’est la langue elle-même
qu’il t’a apprise
Martin Buber
Récits hassidiques
Traduit de l’allemand par Armel Guerne
je lis
je pointe l'I
trouve
un IL
relié à
une Île
et qui signe son
EX-IL intérieur
telle serait en abrégé la tâche du lecteur que je suis
je m'adosse à son ombre
ou lui serais-je
son ombre portée et qui me fait fabuler
?
au fort
de son isolement d'insulaire
il semble s'être égaré en quelque contrée
de son cru
une sorte d'arrière-pays
et dont il serait l'unique survivant ou plus qu'improbable
revenant
SP-H / JDL
67
122 / Le long du rivage
123 / Avec
124 / Avec cela
...
127 / Alphabet
128 / Déjà préparé
John Macdonald
A Naval
Military and Political Telegraphic Dictionary ,
1817
Pas par pas certain
Pas dans pas beaucoup
Pas le pas le temps
Pas de l'eau
John R. Parker
Le nouveau livre de signaux sémaphoriques:
en trois parties
1836
histoire / aviez-vous compté sur
...
histoire / aviez-vous d'accepter
HR Meyer
Cotton Telegraph Code
1878
Quiconque invente
une langue artificielle n'en garde le contrôle
que tant qu'elle n'est pas utilisée
Mais dès qu'il atteint son objectif
et devient la propriété de la communauté
il n'est plus sous contrôle.
Cohésion / Ne pas agir
...
Colation / Ne pas croire
...
Incolore / Ne pas le faire
...
Combattre / Ne pas échouer
The Adams Cable Codex
1896
Épîtres
Un peu de poussière
mais pas de sable
Private Telegraph Code RG Musgrove & Son
1871
jardin interrompu
par
un précipice
vos lèvres
étendre étirer maintenir sauve la barrière
si blesse en soi le faire
on brasse Hortense
sous les échafaudages chacun décide
ornementé des tourments humides de la vie
l'eau bue sur les touches
à l'autre bout de la rue
des plaintes allongées
surgissent sous une couverture mesurée
jusqu'à nos joues
herbes grandies en orgues
chacun remporte tout de même
ses gains au même moment
absent de page qui est partout
c'est inouï et mortellement commun
mais que dire d'autre qui ne peut être dit
mes yeux venus s'offrir à ce qu'ils manquent
l'attirance complexe des neurones
les uns envers les autres
retrace la longue marche de l'humanité
seules
les histoires de cœur portent loin leurs
reflets
*
look in your own ear and read
telle est
l'unique injonction que nous adresse
Ezra Pound en matière
de lecture
regarde
par le fond de ton oreille
et lis
accouple
ton oreille à ton œil
l'oreille qui scrute et l’œil qui écoute
Ce livre tente d'approcher l'énigme de l'acte de lire : processus psychique à la fois familier et à peu près insondable dès lors qu'on l'interroge – relevant pour ainsi dire de l'ordre d'un savoir insu.
Ce faisant, Siegfried Plümper-Hüttenbrink propose moins un livre d'écrivain sur la lecture qu'un livre d'écriture, composé par un très grand lecteur.
Rédigé sur plus de 20 ans, le livre démontre l'extrême cohérence et singularité de la pensée de Siegfried Plümper-Hüttenbrink, qui s'appuie à la fois sur son bilinguisme (allemand-français), son expérience de photographe, et sur la diversité réelle de ses angles de vue : que cela soit dans ses analyses littérales de Wittgenstein (« De la Littéralité »), dans son approche de Walter Benjamin (« De la lecture selon Walter Benjamin »), ou dans l'élaboration de ses jeux de lecture (Lesespiele), qui colligent par fragments une grammaire des faits de lecture, à la manière des jeux de langage (Sprachspiele) de Ludwig Wittgenstein.
4° de couverture :
S'il lit, c'est toujours pour s'égarer dans des jeux de lecture qui l'amènent immanquablement à douter de l'existence de sa propre personne de lecteur.
A-t-elle bien eu lieu ?
Savoir
s'il brûle ou gèle en tenant
un livre en main
Né en 1957, Siegfried Plümper-Hüttenbrink vit entre l'Allemagne et la France.
A son propos,
Gérard Augustin écrivait :
Siegfried Plümper-Hüttenbrink est
un franc-tireur et en même temps
un étrange animateur de la vie littéraire.
Il poursuit depuis des années une oeuvre secrète et rare, éclairant les recoins les plus dissimulés de l'inconscient littéraire, frayant des passages, à l'instar de Benjamin, entre savoir, rêverie et littérature, entre deux histoires, la française et l'allemande, par son appartenance aux deux langues. Magnifique connaisseur de Wittgenstein, de Benjamin comme de Hölderlin, il décrypte aussi, avec raffinement, les subtilités de l'écriture contemporaine .
Ajoutons que, dans le sillage de poètes comme Denis Roche, Emmanuel Hocquard, Jean Daive ou Anne Parian, Siegfried Plümper-Hüttenbrink pratique la photographie en contrepoint de son travail d'écriture.
Poèmes de cuisine
est affaire d'investissement
Il est aussi question du crédit que nous accordons aux marchandises, aux noms et aux idoles, et comment celui-ci nous aliène.
Car
Poèmes de cuisine
est
une puissante analyse d'économie politique
C'est par une autre forme d'investissement, celui du poème et de sa mesure lyrique, que se découvre une capacité de résistance contre la dérive de la valeur d'échange.
Investissement, par conséquent, de l'auteur lorsqu'il décide en dépit de la faillite de faire usage de son libre-arbitre pour fixer ses transferts, les objets privilégiés de son affection.
J. H. Prynne est un poète anglais né en 1936. Bien qu'on lui connaisse une publication antérieure, il fait débuter sa bibliographie par Kitchen poems (Cape Goliard Press, 1968).
Tous ses livres suivants ont été publiés sous la forme de plaquettes (chapbooks) chez de petits éditeurs – en marge donc du champ éditorial et académique anglais.
L'intégralité de ses livres est aujourd'hui réunie en un seul volume de près de 700 pages qui en est à sa troisième édition : Poems chez Bloodaxe (2015).
Apprécié par les nouveaux avant-gardistes anglais (Barque Press notamment), J. H. Prynne a fait l'objet d'une note de Jean-René Lassalle sur le site Poezibao.
J. H. Prynne a été enseignant (littérature anglaise) à l'université de Cambridge.
Il fut également professeur honoraire à l'Université de Sussex, et professeur invité à l'Université Sun Yat-Sen en Chine.
De J. H. Prynne
Éric Pesty Éditeur a publié en 2013
Perles qui furent,
dans une traduction de Pierre Alferi.
*
Avec Poèmes de cuisine (traduit par Bernard Dubourg et l'auteur dès 1975), Éric Pesty Éditeur entame une série de publication de livres de J. H. Prynne en traduction française.
Cette série, dirigée par Grégoire Sourice, souhaite proposer à terme une sélection conséquente d'ouvrages de J. H. Prynne, afin de donner à lire les évolutions, la cohérence et l'importance d'une poétique construite sur plus de quarante ans.
À partir des lieux où elle vécut – Amherst, Boston, le Mount Holyoke Female Seminary, Homestead –, Dominique Fortier a imaginé sa vie, une existence essentiellement intérieure, peuplée de fantômes familiers, de livres, et des poèmes qu’elle traçait comme autant de voyages invisibles. D’âge en âge, elle la suit et tisse une réflexion d’une profonde justesse sur la liberté, le pouvoir de la création, les lieux que nous habitons et qui nous habitent en retour. Une traversée d’une grâce et d’une beauté éblouissantes.
des éclairs
déchirent le ciel noir
la pluie frappe les vitres avec
un bruit de gravillons
la tante
serre l’enfant contre elle
pour la rassurer
mais la petite n’a pas peur
fascinée
elle se penche vers la vitre froide
y appuie le front
et souffle
Feu
le corps
est pour eux
une chose maladive
et volontiers
ils sortiraient de leur peau
et
écoutez plutôt
mes frères
la voix du corps guéri
c’est
une voix
plus loyale et plus pure
le corps sain
parle avec plus de loyauté et plus de pureté
le corps complet
carré
de la tête à la base
il parle du sens de la terre
non
je ne suis pas opérationnel
et je ne serai jamais
opé
je veux être l'erreur la panne
le truc qui coince
qui vous les brise secrètement
qui est rance
bien moisi
la contre-performance même
l'ennui se répand
comme
une nappe de pétrole
sur
une plage bretonne
modeste proposition :
se fabriquer pour soi-même
quelque explosif verbal à la fois offensif et protecteur
auto-défense et exorcisme
CONTRE. TOUT CONTRE.
BEURK
*
le féminin du Je
la Joie
les deux mots ont la même signification
l'entièreté de
l'Etre
la joie est la mesure de la Réalité Absolue
elle est le premier signe de sa
manifestation
la joie ne peut jamais être saturée
car elle se nourrit de l’Évidence
Absolue
W.W
pour me rendre
dans la vallée des Fleurs jaunes
j’emprunte
la Rivière bleue
la distance parcourue est à peine de cent li
la couleur apaisante des pins denses
mon cœur depuis toujours
est serein
comme la rivière limpide
ah !
rester là sur
un grand rocher
avec
une canne à pêche
à finir mes jours
solitaire
je referme mon portail en branchages
dans l’immensité floue
face aux rayons
du couchant
à l’embarcadère
les feux des lanternes s’animent
de partout les ramasseuses de châtaignes d’eau
sont de retour
sources
les ruines sont des églises
ils cultivent la terre entre eux
quelqu'un qui lit un livre est visible de loin
Fait
nom commun
courant
ce qui est arrivé chose accomplie
philosophie
élément de la réalité effective
donné objectif
Le fait est un élément du réel
situé du coté de la chose
On peut ainsi opposer
le fait et le sujet représentant
Le fait est indépendant
de celui qui le pense ou le connaît
Il existe
quelle que soit l’idée qu’en a
un sujet pensant
La représentation d’
un fait n’est donc pas le fait lui-même
On oppose ainsi
le fait à plusieurs éléments
la fiction
parce qu’ elle n’est pas réelle
l’illusion
parce qu’elle est du coté du sujet
de sa représentation trompeuse
la représentation
encore une fois du coté du sujet
Le fait s’apparente à un donné
Il n’est pas
une construction de la pensée
mais
une réalité à laquelle
on accède avant toute construction intellectuelle
Les théories
les interprétations ou les hypothèses ne sont pas des faits
Ce sont des constructions
des éléments qui supposent
une réflexion
une intervention d’
un sujet qui va au delà du donné
La perspective post-classique
Cette perspective traditionnelle a toutefois été contestée
Tout fait
même le plus simple
peut sembler construit
Les faits sont faits
fabriqués
Ce qu’on nomme fait est issu
d’
une construction intellectuelle
Le chat est sur le tapis n’est pas
un donné
Cela suppose
un langage articulé d’une certaine façon
Cela suppose
une idée de chat
une idée de tapis
Plus complexe
il faut un concept de chat
où le chat est quelque chose qui peut être sur le tapis
Pensez à l’inquiétude
au jaune
ou à Internet :
ils ne peuvent pas être sur le tapis
Ce sont des concepts pour lesquels être sur le tapis n’a aucun sens
Alors que le chat lui peut être sur le tapis
Sur le clavier aussi
Ou devant l’écran
Croire que le fait soit un donné est donc une erreur
Il n’y a pas de donné d’élément pur et indépendant du sujet
La séparation entre sujet représentant et fait objectif n’est pas tenable
Le sujet construit les faits qu’il rencontre même s’il ne s’en aperçoit pas
Bachelard insiste sur le fait scientifique
Un fait scientifique est le produit d’une théorie scientifique
Ce n’est jamais le point de départ de la science
mais son résultat
Autres aspects de la notion
Le fait est souvent mis en lien avec l’événement
Un événement serait un fait situé dans le temps
C’est un fait que 2 + 2 = 4, mais ce n’est pas un événement.
Alors que Le chat s’est levé du clavier est un événement
c’est une réalité qui a lieu dans le temps
Comme l’événement
le fait n’est une chose ou un objet.
C’est une relation entre des objets
Kant n’est pas un fait c’est un homme
La Critique de la Raison Pure n’est pas un fait
c’est un livre
Mais
Kant a écrit la Critique de la Raison Pure
est un fait
Cela exprime une relation entre deux choses
Kant et la Critique
La notion de fait joue aussi un rôle en histoire
Si l’histoire est une science
c’est en partie parce qu’elle s’attache à des faits
Elle ne travaille pas sur des mythes ou des mensonges
Elle cherche à décrire et comprendre ce qui s’est réellement passé
ce qui a eu lieu
Les faits
Une notion philosophique ?
La notion de fait est à la fois courante et philosophique.
Pourtant la spécificité de l’usage philosophique est difficile à percevoir.
Il ne semble pas avoir de définition philosophique unanime de fait
On identifie bien des usages particuliers chez certains auteurs
Nietzsche Wittgenstein
mais pas de notion claire partagée par tous
Le concept gagne en importance au 19e siècle
mais son usage s’affaiblit passé premier 20e siècle
La notion de fait rencontre plusieurs difficultés
qui vont être soulevée au 20e et conduire
à son délaissement
les faits semblent construits
il est difficile d’identifier un fait, de compter des faits
séparer un fait de la proposition qui l’exprime est problématique
Combien y-a-t-il de faits devant vous ?
Un ?
Trente ?
Une infinité ?
Mon chat noir est sur le tapis
est-il un fait
deux ou plus
?
On pourrait dire que
Le chat est noir est un fait
et que
Le chat est sur le tapis en est un autre
Il y a
un chat qui est le mien
et
le chat qui est le mien est celui-ci
sont encore deux faits
Mon chat noir est sur le tapis
est-il alors
un fait
qui correspond à
une proposition
?
Ou est-il
un ensemble de plusieurs faits
?
À savoir
Le chat est noir +
Le chat est sur le tapis +
Il y a un chat qui est le mien +
Le chat qui est le mien est celui qui est sur le tapis
Bref
les faits sont rebelles.
De plus
la séparation entre le fait et la proposition
n’est pas nette
Un fait
s’exprime dans une proposition
Mais où se trouve
la distinction entre proposition et fait
?
Tous les faits dont on a parlé sont des propositions
On les exprime par le langage
Mais on ne peut pas montrer
un fait
Son existence tient dans des mots
Le fait
pourrait alors n’être que le fantôme de la proposition
Tout ça est trèèèès schématique
Personnellement
je tends à croire que fait est une notion courante
utilisée comme telle en philosophie
Mais que les philosophes ont oublié l’origine du concept
Ils imaginent
une notion philosophique de fait
là où il n’y en a a pas
Et ils veulent une définition
Je maintiens deux sens de faits par calque de mes sources.
Mais il n’est pas démontré
qu’il y ait un sens philosophique authentique
Cela pourrait bien provenir d’une distinction de trop.
Bibliographie
Fait, Dictionnaire de philosophie, Noëlla Baraquin, Armand-Colin, 2007
Fait, Dictionnaire de philosophie, Christian Godin, Fayard, 2004
Fait, Dictionnaire des concepts philosophiques, Michel Blay, Larousse-CNRS, 2007
Fait, Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Louis-Marie Morfaux, Jean Lefranc, Armand-Colin, 2005
Fait, Philosophie de A à Z, Collectif, Hatier, 2000