à vivre en dehors des critères de la valeur d'échange, et même à concevoir sa vie en dehors du marché, mène au malheur le plus boursouflant, ainsi qu'à l'atermoiement le plus boueux. Ni le confort, ni l'argent, ni même le pouvoir ne sont capables de combler les inconsolés du nihilisme. Rien ne compense l'inaccès à la poésie, même par l'abjection qui la condamne. Les inconsolés du nihilisme se sentent abandonnés, quand c'est eux-mêmes qui se sont abandonnés en recherchant ce qui précisément, ne les comble pas : l'argent, le confort et le pouvoir ; et en se détournant de cette jouissance poétique pourtant disponible à chaque instant, et qui fait signe, là, à portée de main, dans ce petit écart scintillant qui sépare chacun de son propre salut. Le sentiment d'être berné pousse en dernier ressort les plus amochés à se venger autant qu'à désirer avidement leur sanction. Les romans de Houellebecq ne parlent que de ça, bien sûr ; mais presque tous les autres aussi : même fardés en délicate bluette, ou masqués derrière de douillets alibis culturels, ils suintent cette méchanceté du malheur qu'est le ressentiment.
°
Yannick Haenel François Meyronnis
prélude à la délivrance
l'infini/Gallimard
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire