Picasso
La Mort du torero
1933
Huile sur bois
31x40cm.
Coll. Musée Picasso
*
La sangre derramada / Le sang répandu
Chant Funèbre
pour Ignacio Sanchez Mejias
Federico Garcia Lorca
Je ne veux pas le voir !
Dis à la lune qu’elle vienne
car je ne veux pas voir le sang
D’Ignacio sur le sable
Je ne veux pas le voir !
La lune grande ouverte
Cheval de nuages calmes
et l’arène grise du songe
avec des saules aux barrières
Je ne veux pas le voir !
Mon souvenir se consume
Prévenez les jasmins
à la blancheur menue !
Je ne veux pas le voir !
La vache de l’ancien monde
passait sa triste langue
sur un mufle plein de sangs
répandus dans l’arène
et les taureaux de Guisando
moitié mort et moitié pierre
mugirent comme deux siècles
las de fouler le sol
Non
Je ne veux pas le voir !
Par les gradins monte Ignacio
toute sa mort sur les épaules
Il cherchait l’aube
et ce n’était pas l’aube
Il cherche la meilleure posture
et le songe l’égare
Il cherchait son corps splendide
et trouva son sang répandu
Ne me demandez pas de regarder !
Je ne veux pas voir le flot
qui perd peu à peu sa force
ce flot de sang qui illumine
les gradins et se déverse
sur le velours et le cuir
de la foule assoiffée
Qui donc crie de me montrer
?
Ne me demandez pas de le voir !
Il ne ferma pas les yeux
quand il vit les cornes toutes proches
mais les mères terribles
levèrent la tête
Et à travers les troupeaux
s’éleva un air de voix secrètes
cris lancés aux taureaux célestes
par des gardiens de brume pâle
Il n’y eut de prince à Séville
qu’on puisse lui comparer
ni d’épée comme son épée
ni de coeur aussi entier
Comme un fleuve de lions
sa force merveilleuse
et comme un torse de marbre
sa prudence mesurée
Un souffle de Rome andalouse
nimbait d’or son visage
où son rire était un nard
d’esprit et d’intelligence
Quel grand torero dans l’arène !
Quel grand montagnard dans la montagne !
Si doux avec les épis !
Si dur avec les éperons !
Si tendre avec la rosée !
Eblouissant à la féria !
Si terrible
avec les dernières
banderilles des ténèbres !
Mais voilà qu’il dort sans fin
Et la mousse et l’herbe
ouvrent de leurs doigts sûrs
la fleur de son crâne
Et son sang s’écoule en chantant
chantant à travers prairie et marais
glissant sur des cornes glacées
sans âme chancelant dans la brume
trébuchant sur mille sabots
comme une longue obscure et triste langue
pour former une mare d’agonie
auprès du Guadalquivir des étoiles
Oh ! Mur blanc d’Espagne !
Oh ! Noir taureau de douleur !
Oh ! Sang dur d’Ignacio !
Oh ! Rossignol de ses veines !
Non
Je ne veux pas le voir !
Il n’est pas de calice qui le contienne
ni d’hirondelles qui le boivent
ni givre de lumière qui le glace
ni chant
ni déluge de lys
il n’est de cristal qui le couvre d’argent
Non
Je ne veux pas le voir !!
traduction originale du poème en français :
Sylvie Corpas et Nicolas Pewny
traduction agréée
par la Fondation et les héritiers de Garcia Lorca
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le patrimoine fantasmé de la tauromachie
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