J’ai vu
les noirs Véda
le Coran et l’Évangile
et
les livres
aux plats de soie des Mongol
eux-mêmes faits de la cendre des steppes
du kizäk odorant
comme le font
les femmes kalmoukes chaque matin
faire un feu
et se coucher soi-même sur lui
veuves blanches
cachées dans un nuage de fumée
pour accélérer la venue
du livre
Ce livre un
bientôt vous le lirez
bientôt
Blanches
les mers brillent
dans les côtes mortes des baleines
Chant sacré
voix sauvage mais juste
Et
les fleuves azur
sont les marque-pages
où
le lecteur lit
où
est l’arrêt
des yeux qui lisent
Ce sont les grands fleuves
la Volga
où
la nuit on chante à Razine
où
on allume
des feux sur les barques
le Nil jaune
où
l’on prie le soleil
le Yang-Tsé-Kiang
où
est la fange épaisse des humains
la Seine
où sont vendues
des femmes aux yeux sombres
et le Danube
où
toutes les nuits brillent
des hommes blancs sur les vagues
sur des barques en chemises blanches
la Tamise
où
est l’ennui gris des bâtiments
dieux pour les foules
l’Ob renfrogné
où
on fouette
le dieu tous les soirs
et où on danse devant un ours
à l’anneau de fer sur son cou blanc
avant qu’il ne soit mangé par toute la tribu
et le Mississippi
où
les hommes
ont pris pour pantalon le ciel étoilé
et portent un chiffon de ce ciel sur des bâtons
Le genre humain
est le lecteur du livre
et
la couverture
porte l’inscription du créateur
mon nom
archaïques caractères bleus
Mais
tu lis nonchalamment
plus d’attention !
Tu es trop distrait
et
tu regardes en paresseux
comme si c’était les leçons d’un catéchisme
Ces chaînes
de montagnes enneigées et ces grandes mers
ce livre un
bientôt
bientôt tu vas le lire
Dans ces pages saute la baleine
et l’aigle
qui a plié la page de l’angle
se pose sur les vagues marines
pour se reposer
sur le lit
du
pygargue
*
des signes
d’écriture archaïques
comme si de tout temps la
couverture du livre portait le nom
Le Livre évoque
par son aspect de montagnes enneigées
l’espace nietzschéen
il reprend l’ancien topique du monde comme livre
dans une version cinétique
L’aigle
quitte les sommets
pour se poser sur la mer et devenir
aigle des mers
Je ne sais si
Khlebnikov
pensait à la Thora d’en haut qui suit le même
mouvement
Quoi
qu’il en soit
puisqu’encore une fois
il s’agit du temps
et plus spécifiquement du temps de la lecture
on pourrait dire que Khlebnikov
là aussi
introduit la discontinuité
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire