Le Soi : l’essence de l’être
Le Soi – das Selbst en allemand – est une notion que l’on pourrait assimiler au Dasein – « être-le-là » – de Martin Heidegger.
C’est l’état de pure conscience auquel l’individu peut s’identifier lorsque la conscience est simplement et entièrement consciente d’elle-même –
un état qu’il n’est possible d’atteindre que lorsque l’on est suffisamment attentif et apaisé pour accepter de façon inconditionnelle tout ce qui est constaté dans l’instant présent.
Vouée à l’étude de la névrose, la psychanalyse freudienne n’a pas exploré cette part absolument non névrotique de la psyché.
Sigmund Freud réduisait la capacité d’acceptation inconditionnelle à un renforcement narcissique, une disposition du Surmoi dont la tâche ne se limitait pas seulement à contrôler le moi pour éviter les débordements impulsifs du Ça, mais aussi, disait-il « à approvisionner en amour le moi docile et méritant ».
Carl Gustav Jung, riche de son ouverture sur l’anthropologie, la mythologie et l’étude comparative des religions, a proposé d’élargir la vision freudienne en y incluant le concept du Soi.
Pour Jung, le Soi est à la fois le contenant et le centre psychique de l’être.
Il est la source, le moteur et le but du processus d’individuation que chaque être humain devrait effectuer au cours de sa vie – un processus qu’il ne faut pas confondre avec celui de l’individualisation.
L’individualisation permet à l’individu de prendre conscience de sa personnalité en tant que moi.
Ce processus est nécessaire dans un premier temps afin de construire un ego sain, capable de s’adapter aux circonstances de la vie et de s’ancrer dans la réalité du monde extérieur.
Néanmoins, si l’individualisation se poursuit indéfiniment et de façon exclusive, elle mène au narcissisme, à l'individualisme et à l’égoïsme.
L’individuation, quant à elle, permet à l’individu de prendre conscience et d’accepter tout ce qu’il découvre en lui ; à ce moment seulement la personne qu’il croyait être devient un véritable individu (individuum en latin signifie « que l’on ne peut pas coupé, indivisible »).
Le processus d’individuation commence comme par une phase d’individualisation, au moment où l’enfant réalise que sa réalité intérieure est différente de la réalité extérieure.
Il perd alors le sentiment de constituer un tout indifférencié – un Soi non conscientisé – et il construit une représentation mentale de sa réalité intérieure qui lui procure le sentiment d’être une personne – un moi différent et séparé des autres.
À partir de là, son ego se développe jusqu’à devenir hypertrophié à l’adolescence ; puis, il se dégonfle lentement en prenant conscience de ses propres limitations et de la répétition des peurs et des frustrations entraînée par ses comportements névrotiques.
Parvenu à l’âge de 40-50 ans, l’adulte amorce un retour vers le Soi – un Soi différencié et conscientisé, cette fois.
Il se désidentifie de la construction mentale qu’est le moi, il prend du recul par rapport à sa personnalité névrotique qui finit par se dissoudre dans une conscience plus vaste qui est le Soi.
Dès que le moi laisse la place au Soi ; le paraître perd de l’importance au profit de l’être, l’admiration du moi (culte de l’image) est remplacée par la reconnaissance du Soi ; la sensation d’être unifié à l’intérieur s’installe (du fait de l’acceptation inconditionnelle de tout ce qui est découvert en soi) ; le sentiment d’être séparé et opposé aux autres s’estompe, laissant la place à une profonde conviction d’être relié (individué mais relié) ; autrui n’est plus vu comme un objet qu’il faut contrôler et dont on peut tirer profit, mais comme un sujet que l’on peut rencontrer d’égal à égal ; la névrose – cet « état de désunion d’avec soi-même », comme la qualifiait Jung – est moins active, les peurs s’apaisent, l’agitation se calme, les comportements névrotiques diminuent ; les préoccupations narcissiques sont remplacées par des aspirations altruistes ; le superficiel est abandonné au profit de l’essentiel.
La vieillesse est alors synonyme d’une sénescence heureuse et la fin de vie est vécue avec un sentiment d’accomplissement de l’être.
Dans le cas contraire, si vers 40-50 ans l’individuation est interrompue par une reprise de la volonté égotique de paraître, les comportements névrotiques s’amplifient, leurs conséquences deviennent pathétiques, et le vide d’être peut se transformer en effondrement dès que le moi n’a plus les ressources nécessaires pour compenser le manque de Soi.
La vieillesse est alors synonyme de sénilité, il existe un sentiment d’inaccomplissement et la mort n’est jamais accueillie avec sérénité.
Le processus d’individuation que Jung appelait aussi « la réalisation du Soi », apparaît donc comme une sorte de révélateur des potentiels (positifs et négatifs) qui étaient contenus dans l’état de paix et de complétude indifférencié des premiers moments de l’existence.
Il s’achève par l’acceptation inconditionnelle de ces potentiels – une sorte de réconciliation avec tout ce que nous avons exprimé et manifesté ; inévitablement, cela permet de refaire l’expérience, cette fois en conscience, de la paix et de la complétude du début.
Cette réconciliation est comme un retour à la source.
Une occasion de nous souvenir de notre essence : le Soi qui existe avant la construction névrotique du moi. On retrouve la description de ce « retour à la source » dans de grands mythes comme celui d’Isis et d’Osiris où l’amour inconditionnel incarné par Isis rend possible le remembrement d’Osiris (remember, en anglais : se souvenir) – c’est-à-dire la prise de conscience de tout ce qu’est Osiris – qui lui donne accès à la vie éternelle.
Souvent accusé de mysticisme par ses confères freudiens, Jung décrivait le Soi comme une expérience transpersonnelle, une expérience de la totalité que d’autres appellent l’Âme, la Conscience ou l’Être. «
Je dois reconnaître que c’est le Soi que j’ai en tête lorsque je m’occupe de l’idée du Christ, écrit-il.
Au demeurant, je n’ai pas d’autre accès au Christ que le Soi, et comme je ne connais rien qui soit au-delà du Soi, je m’en tiens à ce concept. »
Pour Jung, le Soi correspond au divin, à l’universel et au cosmique.
Il est l’autorité de sagesse en nous qu’il faudrait contacter avant de s’affranchir de l’autorité de contrôle du Surmoi. « Le Surmoi est un succédané nécessaire et inévitable de l’expérience du Soi », écrit-il.
Totalement apaisé, le Soi ne se préoccupe pas des petits intérêts personnels du moi apeuré ; il est au service de la collectivité, soucieux de préserver l’équilibre et l’harmonie qui permettent à la vie de se perpétuer.
C’est la raison pour laquelle, d’un point de vue sociologique, il paraît important d’aider les individus à se laisser inspirer par l’autorité intérieure du Soi avant de les encourager à se libérer du joug des autorités extérieures représentées par les préceptes moraux et religieux intériorisés dans leur Surmoi.
Si ce travail d’individuation n’est pas accompli, le risque de sombrer dans le narcissime, l’individualisme et l’égoïsme est grand.
Le chaos qui s’en suit peut alors favoriser l’émergence de régimes politiques collectivistes et autoritaires qui justifient leur contrôle abusif sur les individus en dénonçant les effets dévastateurs du narcissisme, de l’individualisme et de l’égoïsme.
La sauvegarde des libertés individuelles paraît donc bien difficile à assurer dans une société composées de personnes (des moi égotiques et individualistes) ; elle serait certainement plus facile à maintenir dans une société composée d’individus au sens le plus vrai du mot (des êtres connectés au Soi apaisé).
On peut même se demander si la pérennité d’une démocratie n’est pas liée à la capacité de ses élites d’agir à partir de la sagesse du Soi et d’accompagner le plus grand nombre dans le processus d’individuation qui mène au Soi.
La sagesse du Soi peut être assimilée à celle de l’eudaimon : le « bon génie » dont parlait Aristote, la voix intérieure qui montre le chemin d’une vie vertueuse, c’est-à-dire une vie au service de l’équilibre et de l’harmonie individuelle et collective.
Martin Seligman, l’un des initiateurs du courant de la psychologie positive, a montré que ce genre de vie fait partie des conditions indispensables pour connaître le « bonheur authentique » – un bonheur qui ne dépend pas seulement de la capacité à éprouver des émotions agréables et du plaisir (hédonisme) mais aussi et surtout de la capacité d’actualiser le meilleur de soi en relation avec les autres (eudémonisme) ; ce qui revient à exprimer les meilleures qualités du moi au service du Soi – les meilleures qualités de la personnalité au service de l’essence de ce qui fait la vie : l’équilibre et l’harmonie de tout ce qui est.
D’un point de vue énergétique, il est intéressant de noter que le moi répond à la pulsion de survie.
Il sur-vit : il est en défense permanente ; il dépense énormément d’énergie pour refouler des souffrances qui l’empêchent de fonctionner ; il se donne beaucoup de peine pour cacher les parties de lui-même qu’il ne veut pas montrer de peur de perdre le contrôle sur ceux dont il espère tirer profit ; il s’épuise à vouloir prouver à lui et aux autres qu’il existe en tant que personne performante et bien distincte ; il est condamné à s’agiter pour continuer à éprouver le sentiment d’exister ; il n’est jamais apaisé.
Le Soi, de son côté, répond à la pulsion de vie.
Il vit, tout simplement, calmement ; il permet à toutes les parties de l’être de se rassembler en lui, sans dépenser la moindre énergie ; il ne cache rien puisqu’il accueille tout dans l’amour inconditionnel ; il ne doit ni faire ni posséder pour prouver son existence puisque, de tout évidence, il est – il est vivant, il est la vitalité.
« Le moi s’agite, tandis que le Soi habite », dit-on pour résumer cet différence d’état.
On comprend donc que le fait de vivre principalement identifié au moi finit par épuiser voire même par rendre malade (tant physiquement que psychiquement).
Alors que le fait de vivre dans le silence et dans la paix du Soi est extrêmement ressourçant et favorise la guérison (tant physique que psychique). Wilhelm Reich et Alexander Lowen ont montré comment la libération des tensions physiques dûes aux attitudes défensives et aux comportements névrotiques du moi, provoque une détente corporelle liée à la prédominance du Soi.
Automatiquement, l’agitation mentale fait place au silence intérieur et à l’apaisement.
La joie se manifeste de façon spontanée et sans objet.
Cette joie-là ne dépend d’aucun facteur extérieur, elle n’est pas un contentement mais simplement une joie d’être vivant.
Elle témoigne du sentiment de plénitude qui surgit lorsque l’on lâche prise pour se laisser être, simplement, dans la pleine vitalité du Soi.
Afin d’éviter la confusion liée à l’utilisation du mot self (qui désigne le moi en anglais), Donald Winnicott a proposé de parler de false self et de true self.
Le false self étant considéré comme « le paraître », on peut le traduire par le moi.
Le true self étant « l’être », on peut le traduire par le Soi.
Certains courants psycho-spirituels issus de la culture du New Age proposent de parler de lower self et de higher self. En référence aux notions de dualité et d’unité associées au moi et au Soi, nous avions traduit ces termes dans l’ouvrage Le Travail d’une vie (Robert Laffont, 2001, Marabout 2008) par le Séparateur et l’Unificateur.
Et, afin de bien décrire les attributs de ces deux personnages intérieurs, nous avions introduit la notion de Masque (persona en grec) : « le paraître » associé au Séparateur (la personnalité, le moi, l’ego), et la notion d’Observateur : la pure conscience qui se manifeste lorsque l’objectivité et la compassion révèlent la nature de « l’être » (le Soi).
La spiritualité hindoue désigne cette pure conscience d’être – le « Je suis » qui observe les agrégats de l’ego sans s’identifier à eux – par le concept d’âtman (de atta, en pali : le souffle, le principe de vie, l’essence).
Pour les hindouistes, l’âtman est le vrai Soi, le principe immortel et libre, le divin qui réside en chacun, l’âme individuelle dont la nature est, selon l’Advaita Vedanta (philosophie de la non-dualité), identique à celle du brahman – l’âme universelle, la base divine de toute existence, la Conscience infinie qui se connaît en tout ce qui existe, la Réalité ultime dont la manifestation (maya) n’est qu’une illusion, le Soi suprême qui ne peut se définir qu’en énonçant ce qu’il n’est pas (neti-neti : ni ceci, ni cela).
La spiritualité bouddhiste, de son côté, considère que l’existence d’un Soi individuel (âtman) ou d’un Soi universel et absolu (brahman) n’est pas compatible avec l’impermanence et la vacuité de tous les phénomènes.
Pour les bouddhistes, tout est vacuité (synyata) ; les phénomènes sont vides de substance propre car ils ne sont jamais créés à partir de rien (ils sont toujours dépendants d’autres phénomènes ou agrégats et ils se transforment sans cesse) ; de ce fait, un phénomène, quel qu’il soit, ne peut être défini par une nature qui lui serait propre, il est défini par l’ensemble des rapports qu’il a avec les autres phénomènes (le karma – loi d’interdépendance et de causalité) ; il n’existe donc aucune âme ni aucune essence à trouver, mais la simple agrégation de phénomènes conditionnés (skandha).
Dès lors, les bouddhistes parlent d’anâtman (le non-soi). Et, plutôt que d’identifier un Soi, il décrivent différents niveaux de conscience.
Tout d’abord vijnana : la conscience discriminante (ou connaissance discriminante) qui fait partie des cinq agrégats (phénomènes éphémères) qui forment l’ego, et qui se décline en six modes de connaissance : visuel, auditif, olfactif, gustatif, tactile, et intellectuel.
Ensuite alayavijnana : véritable conscience intégrative (conscience réceptacle de toutes les autres), elle aussi changeante et transitoire, à la fois source et produit du karma, cause et manifestation de klistamanas (le mental souillé qui, du fait de sa croyance en l’existence d’un ego séparé, construit un moi à partir de la conscience intégrative).
Enfin amalavijnana : la pure conscience, absolument non personnelle et non duelle, dans laquelle se fond la conscience intégrative lorsque l’Éveil se produit.
Ainsi, pour les bouddhistes, il ne peut donc y avoir d’Absolu à rechercher ou à trouver, mais simplement une conscience pure (amalavijnana) qui, au-delà du mental, s’éveille et constate la vacuité de toute chose.
Pour un bon nombre de philosophes bouddhistes cette pure conscience est immuable et permanente, ni produite, ni détruite, inconditionnée, au-delà de la pensée ; totalement libre, elle observe et contient tous les phénomènes sans s’identifier à eux.
La notion de brahman de l’hindouisme correspond à cette pure conscience – la conscience-source, infinie, que l’on pourrait qualifier (comme le font parfois les bouddhistes à propos d’amalavijnana) de Conscience cosmique tant elle est vaste et contient tout ce qui est créé.
La non-dualité de la pure conscience dont il est question dans l’Advaita Vedanta hindouiste se retrouve donc dans le bouddhisme (particulièrement dans le bouddhisme Mahayana dont font partie le Chan chinois, le Zen japonais et le Dzogchen tibétain ; peut-être moins clairement dans le bouddhisme Theravada répandu en Asie du Sud-Est).
Elle est présente dans le taoïsme (avec les concepts tao – la « mère du monde », principe qui engendre tout ce qui existe – et wu ji – la vacuité absolue, unité primordiale, réservoir de tous les potentiels, qui se manifeste à travers la dualité yin et yang du tai ji).
On la retrouve dans la plupart des enseignements ésotériques des grandes religions ; par exemple dans l’expérience des grands mystiques chrétiens (comme les Pères du désert, Jean de la Croix, Maître Eckhart), dans le soufisme, ou encore dans la Kabbale juive. Ainsi que chez bon nombre de philosophes occidentaux (notamment chez les présocratiques Héraclite et Parménide, chez les stoïciens Sénèque et Marc-Aurèle, chez le néoplatonicien Plotin, ainsi que chez Baruch Spinoza, Arthur Schopenhauer, Edmund Husserl, Martin Heidegger et Karl Jaspers).
Sans forcément aller jusqu’à l’éveil mystique qui dissout complètement l’identité de l’ego dans la pure conscience de l’unité de ce qui est, nous pouvons tous apprendre grâce à la méditation à nous désidentifier des agrégats qui constituent le moi.
Au-delà de la confusion de nos sensations, des perturbations de nos émotions et du bavardage de nos pensées, nous découvrons alors, en nous, un espace paisible et silencieux dans lequel l’ego se désagrège en ses multiples constituants.
Du coup, nous réalisons l’impermanence et la vacuité de ce que nous croyions être nous. Nous comprenons que le « je » qui réalise cela n’est encore qu’un des agrégats qui constitue le moi (on pourrait assimiler ce « je » à la conscience alayavijnana).
Ce « je » là s’écrit avec un « j » minuscule pour souligner son impermanence ; il sent, il perçoit, il éprouve, il pense, il dit, il fait, il possède ; son identité varie en fonction de ses actions (des actions qui sont en fait des réactions conditionnées) ; il est condamné à agir (disons même : à réagir) pour perpétuer son sentiment d’exister ; il ne connaît jamais la complète tranquillité.
Plus notre méditation s’approfondit, plus notre « je » devient un « Je » que nous pourrions écrire avec un « J » majuscule pour en souligner le caractère non personnel et permanent. Ce « Je » là ne pense pas qu’il est. Il est. Il est hishiryo – « au-delà de la pensée » – disent les bouddhistes zen japonais.
Il est wu wei – « non-agir » – disent les taoïstes chinois.
Il est non-action (en tout cas non réaction), silence et paix, infinie sérénité, vacuité absolue, source de tous les possibles, pure conscience.
Il ne peut dire que « Je suis ».
Il est wu ji.
Il est brahman ou amalavijnana.
Il est Bouddha.
Il est Allah.
Il est Le Caché, Celui qui n’a pas de nom.
Il est Dieu.
Il est Soi.
Peu importe comment nous l’appelons, ce qui compte ce ne sont ni les mots ni les représentations mais l’expérience que nous en faisons.
Faire l’expérience du Soi plonge notre ego dans un espace paisible et silencieux où il se dissout. Cela ne veut pas dire que le moi est détruit mais simplement qu’il ne dirige plus les mouvements de notre existence.
L’espace du Soi est un lieu d’acceptation totale et entière de ce qui est – un lieu d’amour inconditionnel – qui permet de contempler le moi tout en accueillant ses différents constituants dans la conscience, sans que celle-ci ne doive s’identifier à autre chose qu’elle-même en train de contempler le moi.
C’est un espace de liberté dans le sens où les réactions conditionnées du moi, jusqu’alors non conscientisés, ne s’enchaînent plus de façon aussi automatique et chaotique.
Des actions effectuées en pleine conscience peuvent alors être posées, inspirées par le Soi (sous la forme de véritables inspirations – intuitions), dans le but de perpétuer le silence et la paix du Soi.
La pratique méditative permet de découvrir que le silence et la paix du Soi sont toujours là, accessibles à l’arrière-fond (au-delà des sensations, des émotions et des pensées), comme un noyau profond recouvert par la personnalité (bavarde et agitée) de l’individu.
Nous pourrions donc parler de l’Essence de l’être dans le sens où le silence et la paix du Soi (le silence et la paix de la pure conscience non personnelle) constituent la nature première et ultime de l’être – ce qui est présent depuis le commencement et qui sera présent jusqu’à la fin mais qui ne peut être perçu que dans l’instant présent.
Le mot « essence » vient de essentia en latin, qui veut dire « la nature d’une chose », un mot qui vient de essere : « être ».
Postuler que notre nature véritable est pure conscience paisible, silencieuse et non personnelle implique que cette conscience est partagée par tous les êtres humains, devenant ainsi non pas la conscience de chaque individu mais la Conscience qui se manifeste en chaque individu.
Cela pourrait laisser penser que cette Conscience existe de toute éternité.
En d’autres mots : parler d’essence pourrait nous obliger à soutenir la thèse de l’existence d’un monde des idées distinct du monde des sens (comme le faisait Platon) ou d’un dieu transcendant et immortel dont la substance se trouverait en chaque individu.
Opter pour ce genre de thèse obligerait alors à considérer la pure conscience du Soi comme un état absolument non conditionné par le mental et totalement indépendant du fonctionnement cérébral.
Quelques chercheurs qui étudient les cas de NDE (expériences proches de la mort) envisagent cette possibilité.
Néanmoins, la plupart des scientifiques considèrent que le phénomène que l’on appelle « conscience » est étroitement lié au fonctionnement du cerveau.
Pour eux, l’activité cérébrale engendre plusieurs types de consciences (nous avons vu que les bouddhistes parlent de plusieurs vijnana) :
une conscience perceptive et discriminante (visuelle, auditive, olfactive, gustative, tactile, intellctuelle) qui dit « je vois, j’entends, je sens, je goûte, je perçois, je comprends » ;
une conscience intégrative des précédentes (alayavijnana) qui procure une identité à l’individu en lui permettant de se percevoir comme un moi qui dit « je perçois, je comprends et je pense donc je suis une personne », du fait de sa croyance en l’existence d’un monde formé d’objets séparés les uns des autres (klistamanas) ; et, enfin,
une conscience capable de suffisamment de recul (amalavijnana) pour, dans un premier temps, observer la conscience intégrative en train de créer le sentiment personnel d’être un moi et, dans un second temps, générer le sentiment non personnel de l’existence d’un Soi originel et universel qui dit simplement et sereinement « Je suis conscient » et même plus simplement encore « Je suis ».
Cette conscience pure n’émergerait que dans certaines conditions, soit spontanément (comme cela se produit lors d’une fulgurance de conscience ou lors de ce que l’on appelle un Éveil spontané), soit au cours d’une quête spirituelle (durant laquelle l’entraînement au calme mental et à l’amour inconditionnel prépare à un Éveil qui se produit sans que l’on cherche à l’obtenir).
La pure conscience jaillirait alors au-delà du mental, totalement déconditionnée des automatismes mentaux, sans qu’il n’y ait plus d’identification à une conscience qui dirait « je suis conscient d’être ceci ou cela », pouvant seulement constater que « Je suis » (« Je suis indépendamment de ceci ou de cela).
Cette pure conscience (que nous appelons aussi le Soi) ne pense pas, elle n’interprète pas, elle n’explique pas ; elle ne sait rien à propos des êtres et des choses, elle les connaît ; elle perçoit l’essence calme et paisible qui est en tout ; elle communique de Soi à Soi, dans un plan de transcendance où les notions de temps et d’espace n’ont plus lieu ; elle contemple la vacuité de tout ce qui se manifeste (elle voit que rien n’existe en dehors de l’interdépendance des phénomènes) ; elle est la vacuité absolue (l’espace paisible et silencieux qui n’est pas vide mais tongpa nyi, comme disent les Tibétains – tongpa : le vide inconcevable, nyi : la possibilité que tout peut advenir ; cette vacuité qui est un vide plein, un espace de tous les possibles, le lieu où, grâce à l’interdépendance des phénomènes, tout peut apparaître, se transformer et disparaître).
Cette pure conscience non personnelle embrasse l’unité du monde, elle est « tournée vers le tout », tant à l’intérieur de l’individu qu’à l’extérieur ; elle englobe l’univers (unus en latin : un ; versus : tourné vers), elle devient universelle. Telle une lumière, elle diffuse sa sagesse à travers un bon sens relié à l’essentiel, dans le respect de l’équilibre et de l’harmonie qui permettent à la vie de se perpétuer.
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