NDLT
dans le dithyrambe dionysien
l’homme est entraîné
à l’exaltation la plus haute de toutes ses facultés symboliques
il ressent et veut exprimer
des sentiments qu’il n’a jamais éprouvés jusqu’alors
le voile de Maïa s’est déchiré devant ses yeux
comme génie tutélaire
de l’espèce
de la nature elle-même
il est devenu
l’Un-absolu
pendant l’ivresse extatique
de l’état dionysiaque
abolissant
les entraves et les limites ordinaires
de l’existence
il y a en effet
un moment léthargique
où s’évanouit tout souvenir personnel du passé
entre le monde
de la réalité dionysienne et celui
de la réalité journalière
se creuse ce gouffre
de l’oubli qui les sépare l’un de l’autre
mais aussitôt que réapparaît
dans la conscience
cette quotidienne réalité
elle y est ressentie comme telle avec dégoût et
une disposition ascétique contemptrice
de la volonté est le résultat
de cette impression
en ce sens l’homme dionysien est semblable à Hamlet
tous deux ont plongé dans l’essence
des choses
un regard décidé
ils ont vu et ils sont dégoûtés
de l’action
parce que leur activité ne peut rien changer à
l’éternelle essence
des choses
il leur paraît ridicule ou honteux
que ce soit leur affaire
de remettre d’aplomb
un monde disloqué
la connaissance tue l’action
il faut à celle-ci
le mirage de l’illusion
c’est là ce que nous enseigne Hamlet
ce n’est pas cette sagesse à bon compte
de Hans le rêveur
qui par trop de réflexion et comme par
un superflu de possibilités ne peut plus en arriver à agir
ce n’est pas la réflexion
non !
c’est la vraie connaissance
la vision de l’horrible vérité qui anéantit toute impulsion
tout motif d’agir chez Hamlet
aussi bien que chez l’homme dionysien
alors
aucune consolation ne peut plus prévaloir
le désir s’élance par-dessus tout
un monde vers la mort
et méprise
les dieux eux-mêmes
l’existence est reniée
et avec elle
le reflet trompeur
de son image
dans le monde des dieux ou dans
un immortel au-delà
sous l’influence
de la vérité contemplée
l’homme ne perçoit plus maintenant
de toutes parts que l’horrible et l’absurde
de l’ existence
il comprend maintenant
ce qu’il y a
de symbolique dans le sort
d’Ophélie
maintenant
il reconnaît la sagesse
de Silène le dieu des forêts
le dégoût lui monte à la gorge
l’art dionysien
lui aussi veut nous convaincre de l’éternelle joie
qui est attachée à l’existence
seulement
nous ne devons pas chercher cette joie
dans les apparences mais derrière les apparences
nous devons reconnaître
que tout ce qui naît
doit être prêt pour
un douloureux déclin
nous sommes forcés
de plonger notre regard
dans l’horrible
de l’existence individuelle
et cependant
la terreur ne doit pas nous glacer
une consolation métaphysique
nous arrache momentanément à un engrenage
des migrations éphémères
nous sommes véritablement pour
de courts instants
l’essence primordiale elle-même
et nous en ressentons l’appétence et la joie effrénées
à l’existence
la lutte la torture l’anéantissement
des apparences
nous apparaissent désormais comme
nécessaires en face
de l’intempérante profusion d’innombrables formes
de vie qui se pressent et se heurtent en présence
de la fécondité surabondante
de l’universelle Volonté
l’aiguillon furieux
de ces tourments vient nous blesser
au moment même où nous nous sommes
en quelque sorte identifiés à l’incommensurable
joie primordiale
à l’existence où nous pressentons
dans l’extase dionysienne
l’immuabilité et l’éternité
de cette joie
en dépit
de l’effroi et
de la pitié nous goûtons la félicité
de vivre non pas en tant qu’individus
mais en tant que la vie une totale confondus et absorbés
dans sa joie créatrice
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