« Nous étions parait-il moins de 500 en 1943. Là, nous devions être plus de 3000. Tous les volontaires qui arrivaient n’avaient aucune formation militaire et pas d’armes.Nous qui étions là depuis l’hiver n’avions ni artillerie ni mortiers. Juste des mousquetons, des grenades Gamon au plastic, un fusil mitrailleur, et très peu de munitions. Vers le 15 juin 1944 on est descendus du maquis pour le boucler avec les volontaires et barrer l’accès aux allemands. On devait réaliser la fameuse «Fermeture du Vercors» ordonnée par le Colonel Descour selon les ordres d’Alger. Les allemands montèrent dans le Vercors puis se replièrent. J’ai entendu dire pas mal de choses là-dessus. Comme quoi les américains cherchaient à faire diversion avec le maquis du Vercors pour amener les Schleus à croire qu’ils débarqueraient en Provence plutôt qu’en Normandie. Ou que les allemands ont cherché à nous pousser tous vers le sud pour nous tomber dessus. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait. Ils ont attaqué ensuite le plateau, au sud du Vercors, le 21 ou le 22 juillet. Il y avait un aéroport tout neuf qui avait été créé pour les parachutages américains. C’est là que les planeurs allemands sont venus, à Vassieux. C’est le sud qui a trinqué parce qu’il n’y a pas de montagne par là. Heureusement, notre compagnie est restée dans le nord. A Autrans et autour… »
Aout 1944, les embuscades
« Les allemands reviennent très vite après leur repli. Ils envahissent le plateau du Vercors et les maquisards se terrent dans les hauteurs et la forêt. La guerre d’embuscade commence. Fin aout 1944, on intervenait sur les routes où on était sûr qu’ils passaient. Des attentes qui duraient des heures, des heures et des heures. Avec peu de munitions, on en était avare. Et personne pour nous ravitailler évidemment. Au final, il n’y aura que deux accrochages avec les allemands. La dernière semaine d’août, notre groupe était planqué à l’affût dans les hauteurs de la route. Un convoi allemand montait. Un des gars était posté devant avec une mitrailleuse. Aux deux «yuppes», moi et Fred, on a confié les deux grenades Gammon qu’on avait. Ce sont des grenades au plastic anglaises qui n’ont pas la vertu d’un explosif en largeur mais une action performante qui traverse les cuirasses. Alors, lorsqu’on a commencé à entendre les camions monter puis arriver enfin à notre portée. C’était au gars à la mitrailleuse de tirer. Mais là, rien… Elle s’est enrayée. Très vite, sous moi j’ai vu arriver un camion bâché. J’ai dégoupillé ma grenade et je l’ai balancée dessus. Fred qui était plus loin en arrière a fait pareil. Comme j’étais devant je me suis pris le souffle de la déflagration qui m’a couché très violemment sur le dos. Fred qui était derrière n’a rien eu. J’ai dû me relever très vite malgré une terrible douleur musculaire aux lombaires, car on devait se tirer fissa. Avec les deux grenades, on a tué la quinzaine de soldats qui étaient dedans. On a appris plus tard que c’étaient des croates. On n’est pas resté longtemps, juste le temps de constater qu’ils y étaient tous passés puis de voir si on avait encore le temps de fuir. Le reste du convoi était à une certaine distance du camion de tête. Alors on est redescendu très vite pour traverser la route et passer de l’autre côté pour remonter dans la montagne. Le convoi s’est certainement arrêté mais ils n’ont rien fait pour nous poursuivre. »
Une semaine plus tard leur groupe réalise un second attentat. Cette fois, ils sont embusqués de plus haut avec un fusil mitrailleur qui fonctionne mais sans grenade, avec seulement des mousquetons. Un convoi de camions passe. Ils tirent sans savoir si ils ont touché qui que ce soit, car les allemands ripostent immédiatement.
« On est remonté dans la montagne, et on a battu des records olympiques de course à pieds. Les balles sifflaient à nos oreilles et coupaient les feuilles des arbres qui nous tombaient dessus. On a retrouvé le camp et on a bouffé ce qui restait. On avait une faim d’ogres. Très peu de temps après on a appris que les alliés appuyés par l’armée française avaient débarqué en Provence le 15 août. Ils ont repris Grenoble le 22. On allait pouvoir redescendre dans la plaine car les allemands se repliaient vers le nord. »
2 septembre 1944, départ du Vercors
Le 2 septembre 1944 Charles et Fred quittent le maquis par l’autocar pour rejoindre Lyon qui vient d’être libérée.
Le 3 septembre 1944 ils défilent dans la ville au pas, devant le Maréchal de Lattre de Tassigny. On leur a donné des shorts bleus, des chemises kaki qu’ils portent avec leur béret des chasseurs alpins. C’était la seule chose d’un uniforme qu’ils n’aient jamais portée au maquis. Ils portaient seulement des blousons de cuir des chantiers de jeunesse. Ils reviennent ensuite à Grenoble où ils défilent aussi.
Les parents suivaient au pas de course
leurs enfants qui défilaient
Et nos parents à nous étaient là aussi
derrière nous
J’ai deux photos
de nous où on voit manifestement
qu’on ne marche pas au pas
Charles et Alfred Denner Grenoble 1944
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