Supposez
que l’un d’entre vous soit omniscient, et que par conséquent il ait connaissance de tous les mouvements de tous les corps, morts ou vivants, de ce monde, qu’il connaisse également toutes les dispositions d’esprit de tous les êtres humains à quelque époque qu’ils aient vécu, et qu’il ait écrit tout ce qu’il connaît dans
un gros livre
ce livre contiendrait
la description complète du monde.
Et le point où je veux en venir, c’est que ce livre ne contiendrait rien que nous appellerions un jugement éthique ni quoi que ce soit qui impliquerait logiquement un tel jugement. Naturellement, il contiendrait (…) toutes les propositions scientifiques vraies, et en fait toutes les propositions vraies qui peuvent être formulées. Mais tous les faits décrits seraient en quelque sorte au même niveau, et de même toutes les propositions seraient au même niveau.
Il n’y a pas de proposition qui, en quelque sens absolu, soit sublime, importante ou triviale. (…) Par exemple, si nous lisons dans notre livre du monde la description d’un meurtre, avec tous ses détails physiques et psychologiques, la pure description de ces faits ne contiendra rien que nous puissions appeler une proposition éthique.
Le meurtre sera exactement au même niveau que n’importe quel autre événement, par exemple la chute d’une pierre.
Assurément, la lecture de cette description pourrait provoquer en nous la douleur, la colère ou toute autre émotion, ou nous pourrions lire quelle a été la douleur ou colère que ce meurtre a suscité chez les gens qui en ont eu connaissance, mais il y aura là seulement des faits, des faits — des faits mais non de l’éthique.
(…) L’éthique, si elle existe, est surnaturelle, alors que nos mots ne veulent exprimer que des faits ; comme une tasse à thé qui ne contiendra jamais d’eau que la valeur d’une tasse, quand bien même j’y verserais un litre d’eau.
Wittgenstein
Conférence sur l’éthique
1929
Tout ce à quoi je tends – et, je crois, ce à quoi tendent tous les hommes qui ont une fois essayé d’écrire ou de parler sur l’éthique ou la religion – c’est d’affronter les bornes du langage.
C’est parfaitement, absolument sans espoir de donner ainsi du front contre les murs de notre cage.
(…) Mais [l’éthique] nous documente sur une tendance qui existe dans l’esprit humain, tendance que je ne puis que respecter profondément quant à moi, et que je ne saurais sur ma vie tourner en dérision.
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