Vieille photo miroir du temps dilapidé
Dernier soleil la ville s'empourpre
flamme s'éboule dans sa cendre
propage la couleur de l'été
10 février mort de Vittorio Sereni
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Vittorio Sereni, né à Luino, dans la province de Varese, en 1913, et mort en 1983 à Milan, appartient à cette « troisième génération » poétique italienne qui regroupe ses amis Bertolucci, Caproni et Luzi. Fils d’un fonctionnaire des douanes, il a vécu sur les rives du lac Majeur une adolescence protégée du fascisme par des lectures où se mêlaient La Nouvelle Revue française de Jacques Rivière, la phénoménologie et les poètes italiens d’avant-garde. De façon très personnelle, avec son premier recueil, Frontiera (Frontière), il semble se rapprocher, en 1941, de l’hermétisme qu’incarnent alors à Florence le poète Mario Luzi et le critique Carlo Bo.
Mais derrière l’élégance internationale de ses vers (lacs, régates, courses automobiles…), seule façon pour lui de résister à la violence et à la vulgarité ambiantes, on devine déjà la réticence et le scepticisme qui seront sa marque la plus durable et qui l’éloigneront des Florentins, plus spiritualistes. Dans sa vie, dans son œuvre, la guerre opère une fracture décisive : fait prisonnier par les Américains en Sicile, à Trapani, en juillet 1943, il ne sera libéré qu’à la fin de la guerre.
Sa captivité, il la vivra surtout en Afrique du Nord, près d’Oran, à la fois loin des combats et hors de tout choix possible à l’égard de la Résistance. Son œuvre n’aura de cesse de transformer cette exclusion en leçon de lucidité, notamment dans Journal d’Algérie (Diario d’Algeria) en 1947, le plus beau recueil poétique que la guerre ait suscité en Italie. Dans les années qui suivent le conflit, il enseigne, puis rejoint le service publicitaire d’une grande firme lombarde avant d’assumer, chez Mondadori, la direction de la collection de poésie Lo Specchio.
En 1962, avec Gli immediati dintorni (Les Abords immédiats), il propose un volume sans équivalent, à la fois journal extrêmement contrôlé et laboratoire, où cohabitent poèmes en gestation et traductions en cours. L’opzione (L’Option), en 1964, rend compte avec ironie et distance de la visite annuelle de Sereni à la Foire du Livre de Francfort.
Cette prose sera reprise en 1980 dans Il sabato tedesco (Le Samedi allemand). Le troisième recueil poétique de Sereni, Les Instruments humains (Gli strumenti umani), paraît en 1965, soit dix-huit ans après le précédent, mais c’est un des textes majeurs de la poésie italienne contemporaine, bien qu’à sa parution, alors que domine la néo-avant-garde, son importance n’ait pas été clairement perçue.
En 1970, un voyage sur les lieux de sa captivité suscite Ventisei (Vingt-six), prose d’une grande densité, qui réapparaîtra dans la plaquette Sans l’honneur des armes (Senza l’onore delle armi) en 1980. Le dernier recueil poétique de Sereni, Étoile variable (Stella variabile), paraît en 1981, rendu transparent par une plus nette interrogation métaphysique, tandis que Gli immediati dintorni connaissent une seconde édition, revue et augmentée, en 1983.
Sereni fut par ailleurs un traducteur raffiné : ses versions de René Char font autorité et, à la demande d’Einaudi, il a réuni en 1981 ses plus belles traductions poétiques dans le volume Il musicante di Saint-Merry (Le Musicien de Saint-Merry).
Verdier
Étoile variable
Fin juillet quand
de sous les tonnelles d’un bar de San Siro
à travers grilles et arcades on entrevoit
un quelconque quartier du stade ensoleillé
quand s’extasie la grande cuvette vide
miroir du temps dilapidé et qu’il semble
que précisément là vienne mourir une année
et on ne sait quoi d’autre une autre année prépare
passons-le ce seuil une fois de plus
pourvu que résiste ton cœur à ces lames de ville
et qu’une ardoise propage la couleur de l’été.
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