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à peu près
indéfiniment
indéfiniment
Les langues pendantes
du papier décollé laissent
apparaître le plâtre humide
et gris qui s’effrite,
tombe par plaques
dont les débris sont éparpillés
sur le carrelage devant la plinthe marron,
la tranche supérieure
de celle-ci recouverte d’une
impalpable poussière blanchâtre.
Immédiatement
au-dessus de la plinthe court
un galon
(ou bandeau ?)
dans des tons
ocre-vert et rougeâtres
(vermillon passé)
où se répète
le même motif
(frise :)
de feuilles d’acanthe
dessinant une succession
de vagues involutées.
Sur le carrelage
hexagonal brisé en plusieurs
endroits
(en d’autres comme corrodé)
sont aussi éparpillés
parmi les débris de plâtre
divers objets
ou
fragments d’
objets
(morceaux de bois,
de brique,
de vitres cassées,
le châssis démantibulé d’une fenêtre,
un sac vide dont la toile rugueuse
s’étage en replis mous,
une bouteille couchée,
d’un vert pâle,
recouverte de la même poussière
blanchâtre et à l’intérieur de laquelle
on voit une pellicule lilas de tanin desséché
et craquelé déposée sur le côté du cylindre, etc.).
Du plafond
pend une ampoule de faible
puissance
(on peut sans être aveuglé en fixer le filament)
vissée
sur une douille de cuivre
terni.
Au-dessous
du minuscule et immobile
déferlement
de vagues végétales
qui se poursuivent sans fin
sur le galon
de papier fané,
l’archipel crayeux
des morceaux de plâtre
se répartit en îlots d’inégales grandeurs
comme les pans détachés d’une falaise
et qui se fracassent à son pied.
Les plus petits,
de formes incertaines,
molles,
se sont dispersés au loin
après avoir roulé sur eux-mêmes.
Les plus grands,
parfois amoncelés,
parfois solitaires,
ressemblent à ces tables rocheuses
soulevées en plans inclinés par la bosse
(équivalent
en relief du creux — ou d’une partie
du creux — laissé dans le revêtement du mur)
qui en constitue
l’envers et sur laquelle ils reposent.
Sur leur face lisse
adhère quelquefois encore
un lambeau de feuillage jauni,
une fleur.
La description (la composition) peut se continuer (ou être complétée) à peu près indéfiniment selon la minutie apportée à son exécution, l’entraînement des métaphores proposées, l’addition d’autres objets visibles dans leur entier ou fragmentés par l’usure, le temps, un choc (soit qu’ils n’apparaissent qu’en partie dans le cadre du tableau), sans compter les diverses hypothèses que peut susciter le spectacle. Ainsi il n’a pas été dit si (peut-être par une porte ouverte sur un corridor ou une autre pièce) une seconde ampoule plus forte n’éclaire pas la scène, ce qui expliquerait la présence d’ombres portées très opaques (presque noires) qui s’allongent sur le carrelage à partir des objets visibles (décrits) ou invisibles — et peut-être aussi celle, échassière et distendue, d’un personnage qui se tient debout dans l’encadrement de la porte. Il n’a pas non plus été fait mention des bruits ou du silence, ni des odeurs (poudre, sang, rat crevé, ou simplement cette senteur subtile, moribonde et rance de la poussière) qui règnent ou sont perceptibles dans le local, etc., etc.
Claude Simon
Générique de Leçon de choses
(Minuit, 1975, p. 9-11)
Photographie
Texture de mur humide
de plâtre de couleur pour le fond
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