Alexis Pelletier
Quelque chose à dire encore
comme
une très aléatoire partition
et l’espèce de magie qui suinte presque
du mot hasard
avec Mallarmé en arrière plan
et la crainte d’un décalage complet
Je me souviens d’une grande émotion
à découvrir Les Archipels d’André Boucourechliev
mais qu’est-ce que
ça dit au poème de rappeler le lointain
remontant à l’hiver 1993
et comment il y allait d’une sorte
de solitude qui convient à la ville
ou peut-être à quelque chose
comme un état d’esprit du moment
qu’est-ce que je peux bien en savoir
avec le mot rouge aussi introduisant
sur la partition la longue fin circulaire
du deuxième Archipel
Que vois-tu dis-moi
quand je me sens avec ce jeu des références
toujours en bordure et quel sentiment ça produit
dans ton corps comme dans le mien
dans la conjonction de nos corps qui est l’écriture
qui est le désir que rien n’épuise
Il y a
une grande colère dans notre monde
une colère contre lui mais aussi contre nous
contre ce que nous n’empêchons pas
une colère contre moi dans le langage
cette sorte d’aveuglement dans les mots
que je ne sais pas lire et qui me poursuivent ;
Les mots sont ce que nous avons de commun
en nos corps et pas ailleurs
et souffrants mutilés ou jouissants
tous ont les mêmes mots ou mieux
sont les mêmes mots à dire
et la réalité s’entrevoit à ce prix
La réalité de l’égarement ou des rafles par exemple
je suis sans papier dans ma langue
arrêtez-moi renvoyez-moi là où vous savez
renvoyer ceux que vous faites mourir
en contemplant le désespoir à la télé ou ailleurs
bien chaudement dans le sentiment du travail fait
il faut travailler plus pour gagner moins
c’est cela dans l’existence des mots
et comme moi tu sais que ça glisse
je t’offre en même temps que la colère
de Sánchez Cotán une nature morte
aux oiseaux légumes et fruits
celle du musée du Prado exposée au Mnac de Barcelone
de mars à juin 2007
c’est quoi le monde pendant toute cette période
Et comment se fait-il que chaque jour
soit désir de toi
le poème n’y voit que des mots dirait James Sacré
et pourtant c’est à la fois dans les mots et au-delà
que cela se passe
Et c’est aussi une angoisse sourde
quelque chose comme un sentiment de culpabilité
permanent qui arrive dans la langue
c’est là où je n’ai pas été à la hauteur
où je ne le suis jamais
j’ai gardé trop longtemps tels mots des autres
sans les restituer à ceux à qui ils appartenaient
je suis dans une incapable faiblesse
vis-à-vis de ceux à qui je dois quelque chose
je désespère de voir le monde
c’est quand tu es là que ça se calme
et c’est bien la langue des autres qui me pense
Alexis Pelletier
extrait de
Comment quelque chose
L’escampette 2012
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