le pouvoir
exige des corps tristes
le pouvoir
a besoin de tristesse parce qu'il peut
la dominer
la joie
par conséquent est résistance parce qu'elle
n'abandonne pas
la joie
en tant que puissance
de vie
nous emmène
dans des endroits
où la tristesse
ne nous mènerait
jamais
*
La mémoire ne se partage pas
Elle se tisse dans le silence intime de nos pensées elle se nourrit de ce que nous avons vécu et de ce que nous avons cru comprendre du monde
On peut raconter transmettre des images ou des récits mais l’expérience réelle reste prisonnière de l’âme qui l’a traversée
Même les mots les plus précis les photographies les plus exactes ne font qu’effleurer l’ombre de ce que nous avons été
Lorsque nous parlons de notre passé nous offrons aux autres des fragments polis par le langage mais jamais le feu jamais le parfum jamais le frisson véritable
Chaque souvenir est une île et les ponts que nous tentons de construire pour les relier aux autres sont toujours des ponts de vent flottant entre nos subjectivités
Ainsi partager la mémoire n’est pas la donner mais l’exposer la mettre en miroir
Et dans ce miroir l’autre ne voit jamais exactement ce que nous avons vu il voit sa propre interprétation son propre écho
C’est dans cette impossibilité que réside la beauté et la tragédie de la mémoire elle nous appartient entièrement et pourtant elle nous lie aux autres par le vide et par l’écho
Peut-être est-ce là le paradoxe fondamental de l’existence : nous sommes seuls dans nos souvenirs et pourtant ce sont eux qui tissent la fragile toile de notre humanité commune
La mémoire ne se partage pas
On peut la raconter la montrer la peindre…
Mais elle reste à l’intérieur intime intransmissible
Et pourtant dans cet impossible partage
c’est elle qui tisse nos liens les plus vrais
Le devoir de mémoire
affirme qu’il faut se souvenir pour éviter que le passé ne se répète
Mais peut-on vraiment faire d’une mémoire un devoir
La mémoire n’obéit pas elle est vivante plurielle souvent douloureuse
En vouloir faire une obligation collective risque d’en figer le sens
et de transformer le souvenir en simple rituel
Une mémoire imposée n’est plus un travail intérieur
mais un récit officiel
Or c’est précisément dans sa dimension personnelle
dans l’émotion la lucidité la réflexion intime
que la mémoire tire sa force éthique
On peut inciter à se souvenir transmettre éclairer
mais on ne peut exiger l’acte de se rappeler
La mémoire n’est pas un devoir
elle est une responsabilité libre
qui ne prend tout son sens que lorsqu’elle est choisie
La mémoire
ne devient juste que lorsqu’elle est choisie
imposée
elle cesse d’être et perd
sa vérité
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