BASILIC
ocinum basilicum
Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
inquiétante étrangeté
on sait que dans son célèbre article éponyme Das Unheimliche Freud affirme qu’elle appartient à un domaine particulier de l’esthétique où prédominent l’angoisse et l’épouvante quand elles surviennent au sein de ce qui était depuis longtemps familier
il la relie aussi aux choses aux situations aux événements dans lesquels nous repérons quelque chose qui se répète
le facteur de répétition imprime le sceau de l’inquiétante étrangeté à quelque chose qui serait sans cela anodin et nous impose l’idée d’une fatalité inéluctable là où nous n’aurions parlé sans cela que de hasard
de là à tirer de ces phénomènes une signification probante il n’y a qu’un pas volontiers franchi nous dit Freud par les névrosés obsessionnels
et dans un domaine bien particulier celui de nos relations à la mort aux cadavres aux esprits aux fantômes
il est clair que pour l’inventeur de la psychanalyse s’il est un signe d’infantilité qui domine la vie des névrosés en proie à la toute-puissance des pensées c’est bien d’accentuer à ce point la réalité psychique par rapport à la réalité matérielle
et pourquoi pas
ai-je souvent eu envie de lui répondre
la vie n’est-elle pas remplie de coïncidences et pas seulement dans les rêves
de dates de lieux de rencontres
d’événements auxquels nous n’accordons aucun sens et que nous négligeons de relier entre eux
des synchronicités pour parler comme Jung qui définissait ainsi la survenue de deux événements concomitants sans relation de causalité possédant une signification pour l’observateur
alors qu’y prêter attention et les interpréter vous rend vite coupable de céder aux sirènes de l’irrationnel du surnaturel des puissances occultes voire de la superstition et de la bêtise les ignorer ou les négliger est à mon avis un grand tort
rien n’est plus enchanteur que ces phénomènes parallèles qui nourrissent l’intuition que notre existence n’est pas complètement le produit d’un chaos aléatoire d’une contingence arbitraire
voire l’idée un peu folle qu’elle possède un sens qu’il nous serait loisible de déchiffrer à travers les coups du sort ou de ce qu’on appelle pompeusement le destin
il suffit de se rendre consciemment attentif à certains surgissements d’êtres et de choses
à ce qui se répète insiste revient ne veut pas nous lâcher insiste mieux revient encore
il peut s’agir de chiffres et de saisons
d’apparitions d’êtres de chair et d’os
est-ce infantile comme le pensait Freud
je ne crois pas
enfantin
peut-être
et donc aussi créatif que gratuit
en dépit de ses dehors confus parfois illogiques de son désordre apparent n’est-il pas tentant et même excitant de donner sens à la trame existentielle qui est la nôtre et qui, si nous l’étudions bien l’interprétons correctement la méditons à fond, nous apparaîtra alors justifiée
semblable à un air bien connu à une mélodie dont nous avons appris à repérer les thèmes principaux et les leitmotivs il ne sera alors pas dit que notre vie s’est déroulée n’importe comment
sans rien y comprendre
à l’aveugle
pour rien
il ne sera donc pas dit non plus qu’elle n’a pas été merveilleuse et donc belle au sens surréaliste du terme
si nombreux sont les êtres qui n’y prêtant aucune attention se contentent faute d’exister de cet abrutissement qui s’appelle vivre il me semble avoir atteint l’âge où il devient possible de retourner la trame embrouillée du tapis pour découvrir enfin ses motifs
s’élucider soi-même à travers les méandres de sa propre trajectoire implique nécessairement de remonter le cours du Temps comme on le ferait d’un fleuve
sachant que l’existence est à certains égards labyrinthique, remplie d’épreuves et d’épiphanies en attente de déchiffrement le
connais-toi toi-même
socratique
deviens qui tu es
nietzschéen
FS.CG.
à 20 ans
Cécile Guilbert
est
une jeune étudiante débridée
qui ne jure que par la poésie la littérature et la philosophie
à ses oncle et tante qui lui parlent de yoga de gourou et de spiritualité hindoue elle réplique que ses maîtres se nomment Nietzsche Baudelaire Lautréamont et qu’elle ne comprend rien à leurs histoires de Shiva et de vedas
trente-cinq ans plus tard c’est dans l’appartement d’un maître yogi qu’elle réapprend à respirer pour survivre à un choc traumatique
dans ce récit initiatique intime dont la langue claire et l’implacable franchise mêlent ironie intelligence et ardeur Cécile Guilbert raconte les épreuves et les joies qui ont rendu possible cette métamorphose
car pour s’ouvrir à cette Vita Nova il lui faudra affronter plusieurs fois le scandale de la mort celle de son cousin adoré suicidé de sa grand-mère veillée dans son agonie de son oncle à qui elle ira dire adieu dans un ashram du Kerala de son petit frère dont le cadavre est découvert dans des circonstances dramatiques
il lui faudra découvrir l’amour vrai avec Nicolas la lumière dans le regard des sages les bûchers de Bénarès se croire brisée chaque hiver pour finalement renaître à elle-même
à mille lieux de nos repères et nos idées elle nous emporte dans un grand voyage qui fait briller les feux sacrés de sa constellation personnelle
l’amour les morts l’Inde et les livres
faisant aussi la part belle à la magie poétique des signes par lesquels chacun peut donner sens à son existence Feux sacrés pourrait aussi se résumer ainsi
savoir mourir
s’éveiller
apprendre à renaître pour mieux vivre
tout écrit
qui n’est pas une façon de s’éclairer soi-même
pourrira
comme
un corps
Jack Kerouac Dharma
Ne blessez pas mon corps qui saigne
Lancez avec douceur des fleurs sur ma tombe
Ne vous mélangez pas à la terre
Élevez-vous vers les cieux
Les hommes prendront mes cendres pour un nuage