tiens regarde par la fenêtre les flocons qui défilent
c’est beau
je pourrais essayer
d’en faire la chronique
dans
Poudreuse
Séverine Daucourt
pose
une alternative
regarde tomber la neige ou crève au taf
parce que la vie au taf ce n’est pas folichon
il y a trop de stimulations de notifications d’informations de mesures de données précipitées tu sens un flux imprévisible sans un répit pas même celui de l’habitude
quelle pagaille dans l’orchestre
tu es bien placé parmi les instruments disposés entre eux par le chef
sur le plan le plus favorable
pour lui
un deux trois ça va commencer
symphonie du déluge dans la fosse
c’est même insupportable
la vie au taf
tu es prévenu le rythme est fatiguant mais c’est intéressant
tu touches un peu à tout
tu as ton poste à toi sous l’avalanche contrairement à la masse fondante
tu t’impliques
la vie au taf est si absurde qu’il y a des managers
solistes
pour nous aider à déchiffrer la partition
le métier de soliste
est de faire tenir l’intenable avec des mots
ils savent que ce qu’ils disent n’est pas vrai
mais que ça puisse l’être
suffit bien
ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère ils martèlent qu’en manœuvrant à fond la caisse dans tes fonds de caisse ils te prêtent aussi de l’attention car ils construisent tes rêves et que tu n’es pas à l’abri de devenir riche qu’on a tous à y gagner que tu seras accepté partout où tu en as besoin que tu vas pouvoir prendre le futur en main avec ton métier tout le temps jamais pareil assurément humain que la vie est trop courte et que le monde bouge
mais les seules choses qui bougent
sont ces petits cristaux derrière notre lucarne
parce que
depuis quand
déjà
il neige
c’est quoi la neige
tu te demandes
et le médecin leur demande au travail ça va comment
effondrés sur le fauteuil incapables d’aligner deux mots ils répondent qu’ils sont dépassés mais qu’ils ne peuvent vraiment pas ’arrêter en ce moment
ils ont trop à faire
il ne les écoute pas et les arrête quinze jours en se gardant bien de dire
que c’est pour commencer.…
qu’ils vont devoir assumer
de se laisser chuter
la vie au taf c’est tellement dur que
tu comprends que pour supporter certains font du hors-piste
dans les ZAD ou les chantiers collaboratifs
la question n’est pas de profiter de la neige qui tombe
sans discontinuer pour enfin ralentir notre vie à la con
mais s’énoncerait plutôt ainsi
c’est parce que la neige tombe qu’on n’a pas d’autre choix
que d’arrêter
la neige fait ce qu’elle veut
la neige leur dit viens je connais un raccourci
mais elle s’en fout d’arriver à bon port
la neige va où elle veut
la neige et eux poursuivent leur route
la neige devant
la neige impose sa propre temporalité
elle a ça de commun avec l’inconscient la neige
elle ne voit pas le temps passer
elle a l’âge de la mémoire
elle nous laisse quelque latitude
le temps conscient reprendra ça et là avant de se reperdre
dans la neige
puis nous égare
à l’image de ces petits flocons titubants sur nos pages
présence graphique discrète
et entêtante
décidément
tout est beau dans la collection Poésie
commune des éditions MF
le dehors
le dedans
la neige colle à la peau
elle fait mine de sourire comme d’habitude
et ferait presque croire qu’un jour il n’y aura plus de neige
regarde
elle est devenue transparente
tu vois enfin au travers
tu distingues malheureusement
un cul de sac au fond duquel elle réapparaît
ça schlingue dans l’impasse
elle nous encercle inexorable
il y a tant de gens seuls qui ont perdu d’abord quelque chose ou quelqu’un ou le nord ou la santé puis qui perdent la neige et se ruent à ses trousses
sans que l’on puisse lui échapper
elle est sans question alors que toi tu fabules sur les raisons de la quitter tu te dis perte de richesse peut se réparer mais perte de temps nous ruine tu veux flâner flâner sans plus t’en rendre compte flâner quoi cesser de ramasser les miettes d’un bonheur à venir
le temps qui passe est-il du temps perdu
et pourquoi la vie se réduit-elle aujourd’hui à cette question
Poudreuse
est un texte politique qui montre la novlangue libérale et la violence manageriale mais sans le dire sans l’expliquer par A plus B
là où d’autres décortiquent/analysent le parler de l’entreprise Séverine Daucourt l’évoque tout légèrement comme
un flocon
et nous ramène à l’essentiel
et à l’urgence de faire la sieste
en regardant tomber la neige
mais ils n’arrivent pas à dormir les pauvres ils font semblant tandis que sous leur peau ça brûle
la brûlure est immense aujourd’hui est oublié depuis déjà hier et le présent sous hormones essaie de prendre son temps pour sa transition pour sa sécession nécessaire pour léguer un terrain en libre service ouvert H 24 à la pagaille ouvert à la neige qui tombe tombe avec son impitoyable vue d’ensemble
prendre son temps et ne plus perdre sa vie à la gagner dans la torpeur de la poudreuse on en rêve tous, personne le fait
toi qui rêve du grand ralentissement voilà que ça t’embête
tu regardes le temps s’infiltrer dans la neige pour terminer au sol
la neige aurait pu prendre son temps
mais tu sais qu’elle l’abolit je l’ai déjà écrit
peut-être pourrait-on suggérer aux solistes qui nous gouvernent
un séjour en montagne
et à Dieu
s’il existe
une bonne grosse avalanche sur ces encravatés