Li Xin
naît en 1973 sur les berges du
Fleuve Jaune.
Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
Sokudô marchait lentement le long du sentier qui menait au petit pont de bois, enjambant l’étang couvert de lotus. Le matin était clair, mais étrange : un voile léger semblait suspendu dans l’air, comme si la lumière hésitait à tomber sur les pierres humides. Les pins penchaient au-dessus de l’eau, leurs aiguilles frémissant sous un souffle imperceptible, et dans ce frémissement, Sokudô crut entendre un murmure ancien, presque oublié, un mot prononcé par la montagne elle-même.
Keiko était déjà dehors, agenouillée pour nettoyer la mousse sur les pierres du jardin. Elle relevait parfois la tête, regardant les nuages glisser entre les sommets, comme si elle attendait quelque chose que lui seul ne voyait pas. Sokudô s’arrêta près d’elle et sentit la tension qu’elle portait en silence : la veille, Madame Ume, la vieille médium, avait parlé d’événements qui viendraient, et bien qu’elle soit fragile, ses mots avaient trouvé un écho dans l’air du temple, lourd de présages.
Un instant, tout sembla suspendu. Les grenouilles cessèrent de coasser, l’eau ne bougea plus, et une feuille tomba lentement, décrivant un cercle parfait avant de toucher la surface de l’étang. Sokudô inspira profondément. Dans ce simple geste, il sut que quelque chose approchait, une présence invisible mais insistante, comme un souffle de vent qui ne se voyait pas mais que l’on sentait partout à la fois.
Il s’assit près du pont, croisant les jambes, et observa le reflet des nuages dans l’eau. Chaque mouvement de lumière semblait raconter une histoire, chaque ondulation un secret. Les lotus frémissaient doucement, et Sokudô comprit que ces manifestations n’étaient ni bonnes ni mauvaises ; elles étaient simplement, comme tout le reste, un passage, un rappel que le monde n’est jamais entièrement dans nos mains.
Plus tard, alors que le soleil s’élevait, un cri retentit depuis la forêt voisine. Pas celui d’un animal, pas celui d’un oiseau, mais un son qui semblait surgir du cœur même de la terre. Sokudô se leva, mais il n’y avait personne, seulement le silence et la brise qui jouait dans les branches. Il comprit alors que ce n’était pas un appel à agir, mais un rappel à être présent, attentif, conscient de chaque souffle, de chaque ombre, de chaque lumière.
Keiko vint à sa rencontre, posant sa main sur son bras. « Ils viennent peut-être nous voir… ou peut-être pas », murmura-t-elle. Sokudô sourit légèrement. Les mots n’avaient pas de poids ici, seul l’instant importait. Les ombres des pins s’allongeaient, se mélangeant à celles des pierres, et l’étang reflétait le ciel devenu plus lumineux. Tout était simple, tout était étrange, et pourtant tout semblait à sa place.
Lorsque la nuit tomba enfin, il s’assit près du feu dans la maison du temple, regardant les flammes danser. Il pensa à Madame Ume, à ses paroles et à leurs signes mystérieux. Puis, doucement, il ferma les yeux et laissa le monde glisser autour de lui. Les montagnes, les pins, les lotus, la brise, et même les cris lointains se fondirent en un seul souffle. Et pour la première fois depuis longtemps, il sentit que le mystère n’était pas une menace, mais une présence amie, une lumière silencieuse dans l’obscurité, qui invitait à la patience, à l’écoute, et à la contemplation.